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Partez à la chasse au trésor avec Miguel Bonnefoy

Par Samy20002000fr

C’est Miguel Bonnefoy qui a donné le coup d’envoi des rencontres de la rentrée littéraire. Trente lecteurs Babelio se sont en effet réunis, le mercredi 6 septembre dernier, dans les locaux des éditions Payot-Rivages, pour échanger avec l’auteur franco-vénézuélien à propos de son dernier roman Sucre noir.

Dans un village des Caraïbes, la légende d’un trésor disparu vient bouleverser l’existence de la famille Otero. À la recherche du butin du capitaine Henry Morgan, dont le navire aurait échoué dans les environs trois cents ans plus tôt, les explorateurs se succèdent. Tous, dont l’ambitieux Severo Bracamonte, vont croiser le chemin de Serena Otero, l’héritière de la plantation de cannes à sucre qui rêve à d’autres horizons.

Au fil des ans, tandis que la propriété familiale prospère, et qu’elle distille alors à profusion le meilleur rhum de la région, chacun cherche le trésor qui donnera un sens à sa vie. Mais, sur cette terre sauvage, étouffante, la fatalité aux couleurs tropicales se plaît à détourner les ambitions et les désirs qui les consument.

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De Caracas à Dunkerque

Difficile de ne pas penser à l’ « or noir », le pétrole, lorsque l’on découvre le titre du roman de Miguel Bonnefoy : “Bien-sûr, Sucre noir fait référence à la tragédie qui a touché le Venezuela dans les années 1920” répond l’auteur, “d’autant plus que c’est difficile de ne pas voir de lien entre la situation actuelle du pays et l’exploitation du pétrole. Après avoir découvert l’existence de gisements, les vénézuéliens ont arrêté toutes leurs productions pour se concentrer sur l’exploitation de cet or noir, qui a été par la suite la cause de l’effondrement économique du pays. Cela m’a fait pensé aux nombreux explorateurs qui se sont succédés pour chercher un trésor, sans s’être rendus compte que le vrai or était sous leurs yeux.”

C’est pourtant après la participation de l’auteur à l’émission Le Verre et la plume, une émission dans laquelle sont invités un auteur et un expert en spiritueux, qu’est né Sucre noir, dont le titre évoque également le rhum, alcool qui fait la fierté de nombreuses îles des Caraïbes. Miguel Bonnefoy s’émerveille devant le champ lexical de l’alcool : “J’ai entendu parler de girofle, de cannelle, d’ananas, de cuir, d’ocre… et je me suis dit “comme j’aimerais que quelqu’un utilise ces mots pour parler de mon livre !””

L’obtention du prix Stendhal, pour la traduction de son précédent roman Le Voyage d’Octavio, lui a alors permis de partir faire des recherches outre-Atlantique pour son prochain roman: “Je suis allé à Caracas, au Venezuela, puis dans un petit village qui s’appelle La Victoria. J’ai traversé la ville, le bidonville et l’arrière-pays avant d’arriver, au bout d’un chemin de fer, dans une ferme-distillerie qui faisait aussi restaurant. J’ai navigué ensuite sur les côtes des Caraïbes avec quelques pêcheurs, sur de petits barques. Ils m’ont fait découvrir de petites grottes dans la mer du parc de mochima, et m’ont fait voir que les églises ne sont pas faites de marbre au milieu des terres, mais de pierres au milieu de la mer.”

Après le temps des recherches est venu celui de l’écriture : c’est dans le silence monacal de la Villa Marguerite Yourcenar, entre Lille et Dunkerque, que Miguel Bonnefoy s’est ensuite consacré à son texte.

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Entre le français et l’espagnol

Justement interrogé sur les raisons pour lesquelles il a choisi d’écrire en français et non pas en espagnol, sa langue maternelle, Miguel Bonnefoy a proposé deux explications à ses lecteurs : son éducation et les mécanismes éditoriaux. “Ma mère étant diplomate, j’ai beaucoup voyagé quand j’étais enfant, et mes parents ont à chaque fois choisi de me scolariser dans des lycées français. Aujourd’hui, c’est pour moi une langue d’art car je ne l’ai connue que dans les livres ou dans la bouche des professeurs. J’ai une certaine distance avec le français, je me permets donc plus de cabrioles. Si j’écrivais en espagnol, je serais plus grossier. L’autre raison, c’est que pour un jeune écrivain, la France est un paradis éditorial. Puisque mon livre a plu a Paris, ce sera plus facile pour moi d’être publié au Venezuela, on s’intéressera à moi.”

Quant à savoir s’il traduirait lui-même ses ouvrages du français vers l’espagnol, Miguel Bonnefoy n’y est pas particulièrement attaché : “de par son étymologie, traduire c’est trahir : le traducteur est un artiste, il respecte la langue, est fidèle, loyal et nuancé. Le traducteur est un metteur en scène qui voit les choses auxquelles l’écrivain ne fait pas attention. C’est un observateur, il a davantage de distance avec le texte car il étudie les différentes manières de raconter.”

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L’effet de réel

Les lecteurs ont également été interpellés par le vocabulaire utilisé dans Sucre noir, et tout particulièrement celui des animaux et des plantes. Sont-ils traduits de l’espagnol, ou choisis en fonction de leur sonorité ? “Pour écrire ce livre, j’ai fait beaucoup de recherches et ai beaucoup lu sur le folklore de la piraterie, les chasses au trésor, le travail du rhum, la faune et la flore… L’animal national du Venezuela, c’est le “guacamaya”, un perroquet à trois couleurs. “Guacamaya” est un mot très visuel, qui évoque instantanément une image à celui qui l’entend. Pour moi, il faut être fidèle à l’imaginaire et s’accorder des licences pour donner un “effet de réel”, selon les mots de Roland Barthes. La traduction française de ce mot, “ara”, ne retranscrit pas du tout l’imaginaire donné par le mot espagnol : j’ai donc choisi de ne pas traduire littéralement les noms des animaux et des plantes mais d’utiliser des mots dont la sonorité me plaisait davantage.”

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Du réalisme magique à la liberté des personnages

Séduits par le premier chapitre du roman, les lecteurs ont ensuite interrogé Miguel Bonnefoy à propos du naufrage qui introduit le récit : “J’ai longtemps hésité à inclure ce premier chapitre dans le roman. À l’origine, c’était une nouvelle indépendante de Sucre noir : je voulais écrire sur l’histoire d’un naufrage, mais je voulais transposer l’univers de la mer à celui de la forêt. C’est ainsi que les poissons sont devenus des oiseaux, les vagues des troncs d’arbre, l’écume du feuillage…”

Le thème de la nouvelle a ainsi naturellement été abordé : “Je viens d’Amérique Latine, où la tradition nouvelliste est très forte. Mais la nouvelle est au roman ce que le ping-pong est au tennis, et on m’a fait comprendre qu’il était temps d’écrire un roman.” L’auteur a toutefois insisté sur sa volonté de rester concis : “Il n’y a rien de pire que de sentir les longueurs, qui sont comme des coups d’épée dans l’eau. Il faut enlever le gras pour ne garder que l’os et sa beauté.”

À propos de ses personnages, Miguel Bonnefoy n’hésite pas à faire appel à Marcel Aymé et à sa nouvelle Derrière chez Martin pour expliquer ses choix : “Les personnages se dressent eux-mêmes au fur et à mesure de l’écriture, et les choses viennent d’anecdotes simples. Je n’avais pas prévu tous les événements qui allaient faire basculer la vie de mes personnages, mais des expériences anodines et des épreuves plus difficiles m’ont permis de construire mon roman et de lui trouver une fin.”

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Le Venezuela d’hier et d’aujourd’hui

Enfin, la conversation s’est achevée autour d’un élément essentiel des romans de Miguel Bonnefoy : le Venezuela. Bien que le pays ne soit jamais cité, pour quelques lecteurs, Sucre noir avait bien pour décor les paysages du Venezuela : “On peut l’imaginer et j’aime le dire, mais j’avais surtout pour idée de ne pas m’enfermer dans des frontières et de donner, au contraire, des limites poreuses à la géographie et à la temporalité afin de donner une universalité à cette histoire et que chacun puisse s’y reconnaître.”

Quant au Venezuela aujourd’hui, l’auteur de Sucre noir s’exprime avec plus de retenue, invitant ses lecteurs à se renseigner sur l’histoire politique du pays et de l’Amérique Latine pour se faire leur propre opinion : “La politique est faite d’une longue maturation et de conséquences sur le long-terme, de telle sorte que c’est parfois plus simple de revenir sur le passé d’un pays pour comprendre sa situation actuelle.”

C’est finalement après une heure de discussion riche en anecdotes que les lecteurs ont pu s’entretenir individuellement avec l’auteur. En plus de repartir avec une dédicace et une photo, ils ont également eu la surprise de se voir offert Jungle par les éditions Rivages, le troisième ouvrage de Miguel Bonnefoy, réédité dans une nouvelle édition poche.

Découvrez Sucre noir de Miguel Bonnefoy, aux éditions Rivages.


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