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Rama Thiaw, paroles de cinéaste

Par Gangoueus @lareus

Rama Thiaw, paroles de cinéaste

Source photo Dakar Event

Je suis en vacances à Dakar. J’ai lancé des bouteilles à la mer pour rencontrer des acteurs du monde la culture de cette ville. Le but de cette démarche est de dévirtualiser des rapports qui souvent se sont construits par l’entremise de messages électroniques ou sur les réseaux sociaux. Ces fameuses amitiés virtuelles. Dans cet élan, nous avons convenu d’un rendez-vous avec la réalisatrice sénégalaise Rama Thiaw, quelque part en bord de mer.
L’échange est très instructif. L’ouïe est en alerte car les vagues déferlent sur le rivage avec leur bruit assourdissant. Présentation mutuelle. Qui fait quoi. Car dans le fond, je n’ai pas creusé plus loin avant cette rencontre. Je suis en vacances. Je sais qu’elle évolue dans l’industrie du cinéma et surtout qu’elle connait l’écrivain togolais Sami Tchak, ce qui est une connexion intéressante et importante pour moi. Il a donc été question de cinéma. Sujet sur lequel je me suis plongé ces dernières années pour le compte de l’Afrique des idées et produit des articles sur les industries créatives en Afrique. Elle me parle de ses projets artistiques. De son dernier film The Revolution Won’t Be Televised qui emprunte (et modifie) son titre à un des chefs d’oeuvre du père du hip-hop dans sa forme actuelle. Gil Scott-Heron. J’aurais l’occasion de revenir sur ce film techniquement réussi et dont le sujet porte sur le collectif Y-en-marre durant les manifestations qui ont précédé les élections présidentielles sénégalaises.
Rama Thiaw est révoltée. Il y a de quoi. La question de fond est celle du financement et de la circulation des oeuvres cinématographiques. Si son dernier film a été sélectionné au Festival de Berlin, les portes du Fespaco lui sont pour l’instant fermé. Au moment de l’échange, ne connaissant pas son travail, il m’était difficile d’évaluer son propos et la justesse de sa non sélection. Depuis, j’ai vu ce film et cela assoit une conviction profonde à mon niveau. Que toutes les formes d’autonomisation, de non allégeance à l’endroit des structures de décision dans le monde la culture africaine vis-à-vis de la Métropole finissent par cette forme de mise à l’écart. Je suis paranoïaque. Juste pour ce billet. Mais allons plus loin. Rama Thiaw a une lecture assez singulière qui repose sur l’expérience avec l’idée que des survivances en Afrique d’une hiérarchisation raciale existe en Afrique francophone dans certains secteurs des industries créatives. A cela s’ajoute les films africains ou réalisés par des auteurs d’origine africaine ayant une production française ont une meilleure circulation. Nous n’aborderons pas toute la complexité de l’organisation d’une production cinématographique intégralement (enfin quasi) sénégalaise.
Quand j’évoque les passerelles avec le monde anglophone et en particulier nigérian en termes de financement, Rama Thiaw m’explique les choses assez simplement. Ses projets sont trop coûteux pour une telle industrie, actuellement. Même si les choses évoluent rapidement. Et ce n'est pas de l'arrogance. Une fois que j’ai vu son film, j’ai compris de quoi il retournait. Naturellement, la question qui trotte dans l’esprit de quelqu’un de pragmatique est celle de savoir qui va voir le film ? Il reste très peu de salle au Sénégal. J’ai cru comprendre qu'on comptait trois salles dans tout Dakar. Ici elles sont souvent devenues des magasins là où à Abidjan et à Brazzaville, elles se sont métamorphosées en églises.
Il y a donc quelques choses de profondément spirituelle dans la démarche de Rama Thiaw, une foi inébranlable en son art et en la puissance à produire un tel contenu avec l’idée, non plutôt le fait que la puissance publique regarde tout cela avec une certaine distance. Pour une raison beaucoup plus simple : le film est simplement révolutionnaire, le documentaire nous fait vivre avec une esthétique remarquable le combat du Keurgui Crew et du collectif Y-en-Marre de l’intérieur. Aucun pouvoir politique ne veut fourbir les armes de son opposition…
J’aborderai ce film dans le prochain article. 

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