Nous avions quitté Brigitte Giraud en 2015 avec Nous serons des héros, déjà une histoire de vies entremêlées et d’apprentissage de l’Autre. Celle qui fut récompensée par le Goncourt de la nouvelle en 2007 revient dans les librairies avec Un loup pour l’homme. Pour cette deuxième rencontre de la saison, réalisée dans les locaux de Babelio, Brigitte Giraud nous invite à un voyage du côté de l’Algérie encore française pour un récit filial romanesque.
« Printemps 1960. Au moment même où Antoine apprend que Lila, sa toute jeune épouse, est enceinte, il est appelé pour l’Algérie. Engagé dans un conflit dont les enjeux d’emblée le dépassent, il demande à ne pas tenir une arme et se retrouve infirmier à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès. À l’étage, Oscar, un jeune caporal amputé d’une jambe et enfermé dans un mutisme têtu, l’aimante étrangement : avec lui, Antoine découvre la véritable raison d’être de sa présence ici. Pour Oscar, « tout est à recommencer » et, en premier lieu retrouver la parole, raconter ce qui l’a laissé mutique. Même l’arrivée de Lila, venue le rejoindre, ne saura le détourner d’Oscar, dont il faudra entendre le récit, un conte sauvage d’hommes devenus loups. Dans ce roman tout à la fois épique et sensible, Brigitte Giraud raconte la guerre à hauteur d’un homme, Antoine, miroir intime d’une époque tourmentée et d’une génération embarquée malgré elle dans une histoire qui n’était pas la sienne. Et avec l’amitié d’Oscar et Antoine, au coeur de ce vibrant roman, ce sont les indicibles ravages de la guerre comme l’indéfectible foi en la fraternité qu’elle met en scène. »
L’accomplissement d’une auteure
Face à des lecteurs enthousiastes quant à ce roman en lice pour plusieurs prix littéraires, la première question sonne comme une évidence : pourquoi l’Algérie comme thème de ce treizième ouvrage, un thème qui d’ailleurs résonne fortement dans cette rentrée littéraire 2017 ? «La raison pour laquelle je me suis intéressée à cette histoire, c’est parce qu’elle me concerne. Il fallait que j’aie des épaules d’écrivaine peut-être un peu plus larges pour me sentir autorisée à entrer dans cette période. Il fallait que je puisse parler avec mon père de cette période. Il a fallu que je devienne adulte à mon tour. »
Un récit nécessaire
Ainsi, pour l’auteure née à Sidi Bel Abbès, Un loup pour l’homme est une traduction de cette introspection indispensable au processus d’écriture. Ce récit mêle, à la fois, les souvenirs et les connaissances acquises de Brigitte Giraud sur cette période, mais aussi le récit de ses parents, essentiellement de son père, tout cela à la lumière d’une féroce envie d’inscrire dans le marbre une part d’Histoire beaucoup trop tue : « Depuis toujours je me sens très concernée par tout ce qui touche à l’Algérie de près ou de loin, tout ce qui concerne l’art, l’histoire … Même si le rapport à cette guerre d’Algérie est très présent, j’ai essayé dans ce roman de ne pas faire un roman historique, je voulais véritablement faire vivre des personnages qui comprennent petit à petit quels sont les enjeux. En France, personne ne sait véritablement ce qu’il s’est passé, sauf les pieds-noirs rapatriés. Le Français né en France ne sait pas quels étaient les tenants et les aboutissants. Pour autant, les jeunes gens vivants en France et qui faisaient partie d’un classe sociale peu favorisée ne savaient pas vraiment ce qui se passait sur place. Il y avait quand même un récit national qui allait dans le sens de l’Algérie française avant la bascule de 1962 et l’annonce du référendum d’autodétermination. Certains appelés savaient à peine placer l’Algérie sur une carte. Ils savaient à peine que des Français vivaient en Algérie.»
Un miroir déformant
Traité comme un roman, ce livre n’en demeure pas moins un regard sur la propre famille de Brigitte Giraud : « Antoine est un personnage directement inspiré de mon père, qui, lui aussi, en devenant infirmer, affirma son refus de porter les armes. Lila est aussi très proche de ma mère. Je ne voulais pas l’écrire de façon très explicite, je ne voulais pas que ça soit un argument ou un prisme particulier pour lire le livre. Je voulais que ce soit un livre plus universel. » Brigitte Giraud assume pleinement cette écriture romancée, découlant pourtant d’une inspiration filiale qui habite toutes les pages du roman. Les personnages du livre sont, en quelque sorte, le miroir déformant et idéalisé des parents de Brigitte Giraud : « Dans toute histoire, quand on la raconte, il y a toujours un récit qui se fait qui peut devenir fantasme, mensonge sans même qu’on en ait conscience. J’ai imaginé mes personnages de roman autour de ce que j’imaginais être la vie de mes parents à ce moment-là. Ce n’est pas facile d’écrire sur ses parents avant votre naissance, d’imaginer qu’ils ont été jeunes, amoureux, parfois follement amoureux, qu’ils ont eu une vie de jeunes gens modernes, de leur époque. »
Le personnage d’Oscar incarne aussi une facette que Brigitte Giraud souhaitait absolument intégrer dans son processus d’écriture : « Pour moi Oscar c’est le double d’Antoine, un miroir que je ne pouvais pas approcher. La façon la plus pudique que j’ai trouvée c’est de faire intervenir un autre personnage qui me permettait de faire entrer en scène mon père sans en parler. »
« Homo homini lupus est »
« L’homme est un loup pour l’homme ». C’est avec cette incantation prémonitoire de Thomas Hobbes que Brigitte Giraud a baptisé son roman. Alors que « L’homme debout » aurait pu être le titre de son ouvrage, comme le symbole d’un équilibre permanent à trouver dans nos vies, Brigitte Giraud opte pour autre chose : « J’ai pris la citation à l’envers, la figure du loup qui sauve l’homme (en référence à la troisième partie de l’ouvrage). Il y a ce rapport à la lune et à la nuit qui est exactement cela, le loup peut venir dans la nuit protéger un être humain, cette nuit quand tout s’assombrit. »
Frères d’armes
L’histoire du caporal américain Desmond T. Doss qui, en pleine Guerre du Pacifique, prit la voie du front mais refusa le port d’une arme, le duo fraternel de poilus de Au revoir là-haut de Pierre Lemaître … Autant de références que l’on croit deviner en regardant à travers les persiennes de ce roman, un roman qui se tisse autour de la notion de fraternité, chère à l’auteure : « La fraternité parfois ne veut plus rien dire quand elle est pourrie par un lien d’intérêt. La fraternité pour moi c’est être dans une situation où l’autre peut passer avant moi. C’est parce qu’il rencontre Oscar qu’Antoine trouve du sens à sa présence là-bas. C’est un roman pour moi qui parle du don, de ce que c’est de prendre soin de l’autre, de vouloir le faire tenir debout. »
Quelques questions plus tard, le rencontre prend fin. Tour à tour, les lecteurs présents feront dédicacer leur ouvrage et prendront le temps d’échanger avec Brigitte Giraud, toujours prompte à offrir de riches éclaircissements supplémentaires sur son ouvrage.
Découvrez Un loup pour l’homme de Brigitte Giraud, aux éditions Flammarion.