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Pelleas eblouissant a bastille

Publié le 21 septembre 2017 par Popov

Pelléas et Mélisande par Maeterlinck

Au Royaume d'Allemonde où se déroule l'action de Pelléas et Mélisande, un des ces univers "impressionnistes" tissé d'ombres et de lumières (toute une gamme) et de paysages inquiétants (galeries, souterrains, forêts denses, grottes...) on s'ennuie ferme.

Pourtant c'est dans cette atopia symboliste tirée de l'œuvre du poète belge Maurice Maeterlinck que Claude Debussy au mitan de son existence va trouver le support idéal sur lequel appuyer sa révolution formelle. Révolution ? Le mot est faible. La modernité de l'œuvre a été ressentie comme une "offense personnelle" par ses contempteurs, Lle public conformiste de 1902 (c'est le cas en général de la Beauté précise ailleurs Debussy lucide). L'oeuvre provoqua un scandale retentissant. Un livret distribué par des intégristes d'alors, met en garde à l'entrée des salles les spectateurs de "Pédéraste et Médisante". Le texte n'est pas pour rien dans le scandale : doublets, phénomènes de répétitions, échos sinon ressassements (du Thomas Bernard avant l'heure ce texte) qui trahissent un "moi déprimé" et provoquent un rire de défense. Dans ce poème sombrement mélancolique, tous les personnages traînent un spleen différent, tous comme le souligne Julia Kristeva sont à des degrés divers au bord du trou psychique : Golaud, veuf inconsolé, trouve un dérivatif à la monotonie de son existence en s'adonnant à la chasse, Pélléas a un ami mourant dont il diffère la visite, Arkel le patriarche arpente les couloirs du château comme le dédale de ses souvenirs d'homme mûr. Et quand apparaît Mélisande, découverte près d'un étang, dans la forêt on se demande dans quel état elle erre. Bref, il y quelque chose de pourri au royaume d'Allemonde, une "inquiétante étrangeté" universelle sur laquelle le compositeur va greffer ses mélodies subtiles, terreau fécond pour son seul opéra. Mais coup d'essai, coup de maître... Car la lumière s’insinue entre les rets des drames intimes. Pélleas est œuvre de lumière, thème hautement symboliste et Bob Wilson le maître de la lumière qu’il fait même varier d’une représentation l’autre.

Monsieur Croche

C'est dans le cadre du 150ème anniversaire du compositeur génial, qui fut aussi critique, "anti dilettante" et belle plume que l'Opéra National de Paris avait repris la production sophistiquée de Pelléas et Mélisande dans la mise en scène de l'américain Robert Wilson et sous la direction musicale de Philippe Jordan. C’est cette même reprise qui nous est proposée aujourd’hui avec ses variations dernières, sa rigueur, sa solennité.

La mise en scène de Robert Wilson convient parfaitement. L'américain éclaire l'œuvre (au sens propre) d'un nouveau symbolisme anti naturaliste et découpe l'espace lumineux par des abstractions riches de sens. Sa démarche au regard de l'œuvre est en tout orthodoxe sinon respectueuse. Mais cet opéra aujourd'hui classique avait besoin du secours de l'avant-garde pour dépoussiérer sa quincaillerie symboliste. Le texte paraît aujourd'hui un peu daté (il ne trouve plus d'ailleurs de débouchés théâtraux comme lors de sa création). Pierre Boulez qui le détestait voulait monter Pélléas en... japonais !

Le mérite de Wilson est de redonner vie aux vieilles lunes symbolistes (comme cette histoire de chevelure sexuée qui n'émeut plus que les adeptes névrosés de fusion).

Sa vision sobre, âpre, évoque davantage les soleils noirs des Melancholia successives d'un Lars von trier pour le cinéma ou d'un George Friedrich Haas pour le lyrique contemporain. Wilson s'empare des phénomènes de répétitions et les renforce encore par des effets de lumière basés sur le geste qui figent des espaces en perpétuelle reconstruction. C'est remarquable et même émouvant.

Philip Jordan lui aussi sait tirer le maximum du moindre instrument au point parfois de privilégier l'orchestre au détriment des solistes. La distribution est impeccable : Lucas Pisaroni qui succède à Vincent le Texier est un Golaud charismatique. Ellena Tsallagova fragile et sensuelle maîtrise de mieux en mieux le rôle de Mélisande et sa diction parfaite accentue l'étrangeté du personnage. Ses legato aigus poussés du haut de la tour donne le vertige. Etienne Dupuis est un Pélleas élégant et s’acquitte avec facilité des mélancolies sonores de Debussy. Enfin l'œuvre donne l'occasion d'entendre un grand chanteur dans des rôles secondaires : le wagnérien Frantz Josef Selig lequel paraît , lui aussi , se bonifier encore ainsi que deux petits rôles exécutés avec beaucoup de personnalité (Jodie Devos en Yniold et Anna Larsson dans celui de Geneviève, autrefois chanté par Anne Sophie Von Otter.


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