Avec son premier livre publié en français chez Sonatine, finaliste du Booker Prize en 2016, Graeme Macrae Burnet investit les tables des librairies déjà auréolé d’une belle réputation outre-Manche. Son deuxième roman L’Accusé du Ross-Shire (His Bloody Project en VO) met en scène un ado de 17 ans arrêté après un triple assassinat, en 1869. Un roman historique bien particulier puisqu’il livre les pièces du procès de son narrateur, nous plongeant dans les déboires d’un village des Highlands, en Ecosse. Une affaire sans doute plus compliquée que son sujet ne le laisse entendre…
Loin de ces terres du Nord mais sous un ciel bas tout de même, c’est au premier étage du Delaville Café de Paris que 30 lecteurs ont pu rencontrer l’écrivain le 20 septembre dernier, pour 1h30 riche en interactions. Lourds rideaux rouges, chandeliers, cheminée (éteinte), photos en noir et blanc et même un chat au poil long : un cadre parfait pour une rencontre à la fois intimiste et vivante, en présence des éditrices de chez Sonatine et animée par la traductrice du livre, Julie Sibony. Et si l’auteur est originaire du village écossais où fut créé le whisky Johnnie Walker, Kilmarnock, son ouvrage a plus la saveur d’un single malt que d’un blend
De l’importance des lieux : un village en Ecosse
D’ailleurs la question du cadre géographique est primordiale dans le récit : « Le personnage central du livre, c’est au final le village. Il y a une connexion très importante entre le narrateur, Rodrick, et son environnement. Transposé ailleurs, il serait une autre personne, car on ne peut pas séparer le décor de l’histoire. C’est un jeune homme intelligent, mais comme piégé : il veut voir du pays, et justement sortir de ce cadre restreint. Il y a aussi sans doute un peu d’autobiographie dans le fait de situer l’action dans les Highlands, vu que ma mère en est originaire et que j’ai moi aussi grandi dans une petite ville d’Ecosse. »
Retour au XIXe siècle
Pour faire vivre cette communauté et immerger totalement le lecteur dans l’action, Graeme Macrae Brunet mène un travail de documentation conséquent : « Je fais beaucoup de recherches avant d’écrire. J’adore ça. En préparation de L’Accusé du Ross-Shire, je suis allé aux Archives nationales écossaises pour consulter des documents historiques, parfois fermés par des cachets de cire rouge. Quand on met la main là-dessus, on peut carrément sentir l’odeur de l’Histoire. Mais ce qui m’intéresse le plus, ce sont les détails de la vie des gens à l’époque, leur quotidien. Et donc la langue qu’ils parlaient pour désigner tel ou tel objet. » De l’aveu de Julie Sibony, voilà l’une des principales difficultés à laquelle elle a été confrontée lors de son travail de traduction, en plus de devoir rendre le style des documents (dépositions, articles de journaux, rapports des médecins) qui parsèment le livre. Et l’auteur de saluer la qualité du travail de la traductrice, en même temps que certains lecteurs présents.
Réel, vraisemblance, véracité, vérité and Co
Si le cadre temporel et spatial auront beaucoup fait parler les lecteurs invités et l’auteur, le sujet le plus longuement abordé aura finalement été celui du rapport entre réalité et fiction. « Le lecteur passe un contrat avec le livre, au fond de lui il désire que ce qu’il lit soit vraiment arrivé, et en tant qu’auteur on joue avec ça : avec ce qui est historiquement avéré, et avec la véracité de l’action. Quand ça marche, c’est que le lecteur est complètement dedans. D’ailleurs l’Irish Times a présenté L’Accusé du Ross-Shire comme un livre sur un vrai crime ! En même temps ce type de réactions est complètement voulu, puisque dès la préface j’utilise un style journalistique académique qui induit le vrai, le réel. Comme au cinéma quand la caméra tremble, c’est juste une question de procédé. »
Ecrire : comment et pour qui ?
Quand un lecteur lui demande s’il a des conseils à donner à un écrivain débutant, Graeme Macrae Burnet, à l’image du proverbe des Highlands qui ouvre le livre (« C’est l’usure qui donne à la meule son mordant »), ne manque ni d’humour ni de mordant : « Mon seul conseil : ne pas écouter les conseils ! Internet fourmille de listes de conseils destinées à de prétendants écrivains. Des listes créées par des gens qui n’ont jamais écrit autre chose que des listes… Je me méfie de cette culture du conseil, justement. Pour moi un auteur se doit d’écrire quelque chose de singulier, d’unique, avec ses propres méthodes. L’écriture est un processus organique, et personnellement j’évite de trop planifier, mes histoires se développent et changent au fil de la plume. Je crois vraiment que c’est en lisant et en pratiquant qu’on devient écrivain. Aussi, j’aime faire lire mon texte à mes proches et leur poser des questions très précises pour savoir ce que je peux améliorer. Mais pour moi, l’écriture reste une lutte, et à chaque fois j’ai l’impression de plonger dans une piscine de merde pour en extraire quelque chose de bien. Alors je me force à écrire le plus possible, je travaille hors de chez moi. »
Quant à savoir s’il essaie d’anticiper comment il sera lu, l’écrivain écossais précise : « Je n’écris que pour moi : c’est impossible de penser à un lecteur quand on écrit, puisqu’il n’y a que des lecteurs, et autant de sensibilités, d’expériences et donc d’interprétations du livre possibles – qui à mes yeux se valent toutes. Par exemple, un journaliste chinois m’a confié que l’atmosphère lui rappelait celle qui pesait sur son pays durant la révolution culturelle de Mao. Un autre m’a parlé des serfs en Russie, du système féodal, tandis qu’un Australien rapprochait l’histoire de celle des Aborigènes. Alors qu’il n’y a rien de tout ça dans le livre ! » Et la traductrice de conclure : « C’est le pouvoir de la littérature ! »
Bonne nouvelle pour ceux qui ont aimé ce roman : The Disappearence of Adèle Beadeau, premier livre de Graeme Macrae Burnet, sera publié par Sonatine en 2018. Un ouvrage dans lequel il jouait déjà avec le lecteur, puisque le livre présente son auteur, Mr Burnet, comme étant le traducteur d’un livre français. Alors, « nothing but the truth » ?