Dans ma vie blandinienne, j’ai parfois à passer des coups de fil à des fournisseurs, ce qui fait que je suis confrontée à diverses musiques d’attente. Il est un fournisseur – je ne dirai pas lequel – qui a une musique d’attente qui, outre qu’elle soit recouverte d’une voix de chaudasse nous promettant de nous faire poireauter de manière agréable, ressemble à la bande originale d’un porno soft des années 1980. Pourquoi ? Parce que le thème est joué de manière très langoureuse par un saxophone. UN SAXOPHONE PUTAIN.
Car oui, avec la basse slappée et les nappes de clavier, le saxophone est une des plaies d’Egypte de la musique produite dans les années 1980. Je ne compte pas le nombre d’exemples de morceaux dont on est persuadé, par la magie de cet instrument, qu’en l’entendant, la personne en face va se mettre à se désaper sans pudeur aucune dans une ambiance tamisée à teinte rose à rouge. Selon Topito, ça ne date pas des années 1980 et ça continue de sévir (http://www.topito.com/top-morceaux-rock-gaches-saxo-solo).
Le mètre-étalon de cette conscience du saxophone restera à jamais Careless Whisper de Wham. Outre le brushing totalement improbable des protagonistes – 1984 so A E S T H E T I C S -, ce solo de saxophone te poursuit dans tes rêves adolescents où tu te paluches devant le téléfilm du dimanche soir sur M6 ou CStar (selon les générations), tu sais, ceux de l’époque où Katsuni ne faisait pas encore un 90E.
Cela me désole vraiment, parce qu’à cause de ce putain de motif, tu as des milliards de compositeurs de bandes originales de séries Z avec des nichons dedans se sont dit que c’était une bonne idée, le saxophone, pour créer une ambiance chaude dans un film au charisme inexistant (tout comme son héroïne à la choucroute et aux bonnets évocateurs). Et à cause de ce motif de saxophone, un morceau tel que Your Latest Trick de Dire Straits est tourné en dérision, alors que, quand même, ça avait un minimum de gueule en termes de production (mais je ne suis pas objective avec Dire Straits) :
Mais il n’y a pas eu que les années 1980 qui ont fait du mal à l’image du saxophone. La décennie précédente, en laissant des blancs-becs réinterpréter les motifs du funk en combinant saxophone strident et basse slapée, ont dénaturé aux yeux du public un motif qui paraissait quand même classe dans les films de blaxploitation. Vous ne voyez pas de quoi je parle ? Voici une petite illustration avec Rod Stewart :
Bref, le saxophone est malmené dans la musique populaire et ce n’est pas juste. Si le Dinantais Adolphe Sax a crée un instrument extrêmement velouté en 1846, le volume des sons émis par l’instrument était trop fort pour l’intégrer dans un orchestre, bien que des compositeurs commencent à écrire des pièces qui intègrent l’instrument très vite. Pour le grand public, la première identification visible du saxophone reste le Boléro de Maurice Ravel (1928).
Le saxophone a ensuite gagné ses lettres de noblesse dans le jazz dès les années 1920. C’est même des artistes tels que John Coltrane, Sidney Bechet ou Paul Desmond du Dave Brubeck Quintet qui en ont fait l’un des instruments inspirant les sentiments les plus profonds (légèreté, mélancolie, etc.)
D’autres artistes tels que Stan Getz ou Manu Dibango ont, quant à eux, fait le pari d’allier le saxophone à des répertoires plus exotiques tels que la bossa nova ou les rythmiques centrafricaines pour leur donner une nouvelle couleur.
Même dans le rock et la pop, il existe des morceaux où le saxophone a un rendu classe. Ne serait-ce que le solo de Bobby Keys dans Brown Sugar des Rolling Stones est un excellent exemple.
Tout ça pour dire que le saxophone, à l’instar du violoncelle, permet l’expression chez le pratiquant et la provocation chez l’auditeur d’émotions bien plus diverses que celles qu’il provoque chez le grand public depuis une quarantaine d’années. Je le dis tout de go : ça m’agace de réduire le saxophone aux sentiments égrillards provoqués par un succédané de Careless Whisper. Je me dis que John Coltrane et Stan Getz ne méritent pas ça.
Bref, réhabilitons le saxophone dans la pop culture et ne le réduisons pas aux ambiances de films de seins. Ou bien même, quand des mecs auront envie de mettre du saxophone dans leur morceau parce que ça fait cochon, qu’ils écoutent du jazz ou de la world fusion pour se remettre les idées à place. Parce qu’on a le droit d’aimer le saxophone et de ne pas vouloir montrer ses seins.