Absorbant et densément riche, Manchester By The Sea, écrit et réalisé par Kenneth Lonergan, est un portrait mélancolique et indéniablement humain sur le chagrin et comment sa nature écrasante peut se manifester, non seulement dans nos cœurs mais aussi dans nos environnements. Ce drame puissant parle autant des lieux que des gens. La banlieue glaciale dans laquelle se déroule l’action est aussi obsédante et atmosphérique qu’un décor de film d’horreur. Pourtant les seuls peurs ici viennent des ramifications de nos actions et comment leurs ombres persistent dans les rues que nous avons traversées. Le passé s’accroche fortement à ce monde en y laissant des cicatrices apparentes.
Casey Affleck livre une performance révolutionnaire dans le rôle de Lee Chandler : un concierge bostonien rendu introverti par la solitude. Vivant dans un appartement en souterrain dans lequel il est bloqué par son emploi, il passe son temps à réparer de petites fuites et s’occuper de pannes électriques avant de descendre plusieurs pintes de bière. La réalité le rattrape cependant très vite lorsqu’il est rappelé à sa ville natale où son frère aîné, Joe (Kyle Chandler), subit à une crise cardiaque. Le monde de Lee prend une toute autre tournure quand il devient le tuteur légal du fils de Joe, Patrick.
Comme il l’a présenté de manière si experte dans son précédent film Margaret en 2011, les thématiques de Lonergan se retrouvent dans les non-dits. Dans Manchester By The Sea, la prose est brutale et donne à réfléchir, chargée avec un tas d’humour fragile et une sagesse désabusée. Mais la manière dont son casting porte son récit sépare Manchester By The Sea du drame traditionnel. Le détachement émotionnel et psychologique de Lee en fait un protagoniste ahurissant : il est guindé par le silence, augmentant constamment les barrières avec ceux qui se soucient de lui. Pour Lee, la perte de son frère ne le consume pas, mais c’est la vague implacable de la vie qui le force à se battre pour un nouveau souffle à chaque accident cruel.
Lonergan permet brillamment à l’angoisse et à la peine de ses personnages de se construire en crescendo fiévreux. Tandis que son film n’a pas « la scène » à laquelle tout le monde s’attend, il possède des explosions d’humanité habile qui sont remarquablement puissantes dans leur subtilité. Le trouble de Lee dévoile des spasmes aléatoires de colère peu habituels, qu’il soit imbibé d’alcool ou non. Comme une montre suisse, les rouages et mécanismes de son psychisme et de son comportement cliquent délicatement jusqu’à ce que le système entier échoue.
Il n’y a pas que Casey Affleck qui délivre un travail exquis. Kyle Chandler dynamise son rôle de Joe, son récit raconté à travers des flashbacks donne une fausse distinction de sa continuité au spectateur. Une minute Joe est vivant et en pleine forme, buvant des coups et jouant au tennis de table avec son frère, alors que la suivante son corps est froid et nu dans une morgue avec aucune coupe évidente entre de tels contrastes. Michelle Williams délivre également une émotion tendue à travers le rôle de l’ex-femme de Lee, Randi. Elle sert de rappel métaphorique constant des mouvements et des choix que l’on fait qui auront des conséquences beaucoup plus grandes que nous voudrions croire.
Le nouveau venu, Lucas Hedges, est un diamant brut. L’interaction entre Lee et Patrick surcharge l’influence dramatique, pourtant ils ne sapent jamais la fragilité de leur relation et en effet beaucoup de leurs différences sont en réalité des ressemblances indéniables. Vous seriez enclins à croire que Patrick est un pleurnicheur, un adolescent imbibé de larmes qui vient de perdre son père, mais Lonergan respecte à dépeindre une jeunesse moderne. Il est difficile à gérer ; égoïste, arrêté dans ses opinions et exigeant, mais capable de sincérité profonde et d’humanité. Quand ces nuances débordent sur la pellicule de Lonergan, elles le font avec une vibration honnête.
Manchester By The Sea est un film extrêmement texturé et mesuré : il offre une compréhension adroite des complexités du deuil grâce à un réalisme sur mesure souvent effacé en faveur d’une manipulation émotionnelle. Ce dernier film de Lonergan gagne la peine du spectateur et par le rythme indubitable des conversations humaines vous quitte en vous laissant cloué au sol, submergé par l’émotion.
L’article Manchester By The Sea (2016), Kenneth Lonergan est apparu en premier sur The Lost Movie Theater.