C’est le titre de l’excellent roman qui m’a rendu la vie plus douce sur le vol de retour d’Europe. Pendant que l’avion filait dans le froid polaire de haute altitude, mon esprit voguait dans le récit de William Boyd, hors du temps et de l’espace. Comme on doit limiter le poids des bagages, le choix d’une valeur sûre en matière de lecture s’imposait. Et je n’ai pas été déçue. J’ai même dû me faire violence pour ne pas le dévorer durant le séjour à Paris.
À travers les différents personnages mis en scène par l’auteur, on assiste à la tragédie de l’homme en guerre. Les morts s’additionnent plus vite qu’on peut les compter, les biens sont détruits, les corps se brisent, les amitiés sombrent, l’amour vacille. Et comme si ce n’était pas suffisant, la grippe espagnole parachève la dévastation qui s’est abattue sur l’humanité.
Si le récit est passionnant, c’est que les personnages sont particulièrement vivants. Tout en demi-teintes, en nuances, en ambivalence, comme dans la vraie vie. Au cœur du roman, Félix avance tâtons, ouvre les mauvaises portes, recule, repart, gauchement, courageusement. Imparfait et attachant jeune homme.
Récit passionnant, personnages attachants et comme toujours, une plume éblouissante. Je vous en donne pour preuve la description que Félix fait de son père :
Le major Cobb était un petit homme qui avait été autrefois puissamment bâti : il lui en restait encore quelques traces mais, depuis qu’il avait quitté l’armée, il avait dangereusement grossi. Ce soir, pensa Félix, il ressemblait à un gros cube blanc et noir en fureur. Il portait — sans que l’on sût pourquoi — des knickerbockers noirs, des bas de soie blancs, des chaussures à boucle, une queue-de-pie, un faux plastron à col cassé et un nœud papillon blanc. Un rang de médailles tintinnabulantes lui barrait la poitrine du côté gauche. On aurait dit un ambassadeur auprès de la Cour de St-James sur le point d’aller présenter ses lettres de créance. Il était presque complètement chauve mais, à l’encontre de la mode actuelle, il avait conservé ses luxuriants favoris. Le visage bouffi et le teint cireux — couleur de vieilles touches de piano —, on l’aurait cru à peine remis d’une maladie ou sur le point d’en attraper une. Il avait de grandes poches sous les yeux et d’épaisses caroncules en guise de paupières : les plis de chair affaissés ne lui laissaient que de minces fentes pour y voir. Un monsieur parfaitement déplaisant d’apparence, se dit Félix qui pria que sa propre vieillesse ne l’affecte point de la sorte.
Du grand Boyd. Je vous suggère fortement de visionner cette courte vidéo dans laquelle Bernard Pivot s’entretient, en 1985, avec le jeune William Boyd et qui fait un éloge dithyrambique de son livre, son deuxième en carrière. C’est du bonbon.
William Boyd, Comme neige au soleil, Balland, 1985, 437 pages