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Littératures de l’imaginaire : le lecteur disséqué

Par Samy20002000fr

L’Imaginaire ayant pris le pouvoir en librairie pendant tout le mois d’octobre, c’est à ses lecteurs que nous nous sommes intéressés pour la douzième conférence de notre cycle destiné aux professionnels du livre qui vise à explorer les pratiques des lecteurs.

Fantastique, science-fiction, fantasy… Portées ces dernières années par de nombreux best-sellers et des adaptations à succès sur le grand et le petit écran, les littératures de l’imaginaire s’ouvrent à un public sans cesse plus large, tout en restant les grandes absentes des colonnes de la critique traditionnelle.

Littératures de l’imaginaire : le lecteur disséqué

Qui est le lecteur d’imaginaire ? Quelle place accorde-t-il au genre dans ses lectures ? Comment se forment ses choix, ses fidélités, ses découvertes ?

Pour tenter d’en savoir plus sur ces lecteurs qui sont tout sauf imaginaires, nous avons mené une enquête du 5 au 11 septembre 2017 auprès de 3 428 lecteurs présents sur internet. Nous avions d’ailleurs déjà mené une enquête en 2015 sur ce lectorat. S’est-il métamorphosé en deux ans ? Quels changements, quelles évolutions peut-on évaluer ?

Littératures de l’imaginaire : le lecteur disséqué

Présents à nos côtés pour interpréter les résultats de notre étude présentée par Octavia Tapsanji, responsable relations éditeurs de Babelio, nous avons convié Thibaud Eliroff, directeur des collections Nouveaux Millénaires et J’ai Lu SFMathias Echenay, fondateur des éditions La Volte ainsi que Stéphane Desa, directeur des collections Fleuve et Pocket Editions SF /Fantasy.

Les frontières sans cesse repoussées de l’Imaginaire

Comme nous le rappelions lors de la présentation de notre précédente étude sur ses lecteurs, « l’imaginaire » est une littérature difficile à définir. Sont inclus en effet sous cette appellation différents genres littéraires tels que le fantastique, la fantasy, la science fiction, mais aussi de multiples sous-genres comme l’uchronie, le steampunk, le space-opera, l’urban fantasy, la dystopie et la bit-lit. Sous-genres qui peuvent également eux-même se diviser à l’envie. Si la théorie du « multivers », c’est-à-dire celle qui suppose des univers multiples qui existeraient simultanément, est particulièrement appréciée de certains auteurs de science-fiction, peut-être faut-il parler des littératures de l’imaginaire comme d’un « multi-genre » !

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C’est sans doute cette diversité intrinsèque à cette littérature qui explique le flou qui l’entoure. Nous avons demandé aux lecteurs de classer différentes œuvres dans le genre imaginaire. Il apparaît que seuls 30% des lecteurs identifient comme appartenant « tout à fait » au genre des ouvrages tels que Les fourmis de Bernard Werber, La métamorphose de Kafka ou Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Et comme d’habitude, nous avons inclus dans la liste des titres pièges. Les écureuils de Central Park de Katherine Pancol a été identifié comme un roman issu des littératures de l’imaginaire par 4% des répondants. 

Pour Stéphane Desa, ces résultats confirment ses soupçons : le genre de l’imaginaire est toujours aussi mal identifié et c’est un vrai problème pour les éditeurs. Pour lui comme pour chacun des intervenants, c’est un travail que tous les éditeurs du genre doivent inlassablement fournir : réussir à mieux communiquer auprès du grand public alors que des grands noms de l’imaginaire sont proposés en France dans des collections « blanches », c’est à dire qui ne relève pas d’un genre. L’imaginaire doit-il pour autant avoir un rayon qui lui serait consacré en librairie, afin peut-être, de mieux l’identifier ? C’est, pour Mathias Echenay, une véritable interrogation dont il ignore la réponse : »certains livres doivent être placés dans un rayon « imaginaire » mais d’autres livres dans un rayon de littérature « blanche ».

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Reste que le lecteur de Babelio, ou plutôt la lectrice -puisqu’elles sont très largement majoritaires sur le site, est un grand lecteur et, surtout, un grand lecteur d’imaginaire. 89% des répondants à notre sondage s’identifient au genre.

Pourquoi lire ou ne pas lire de l’imaginaire

Littératures de l’imaginaire : le lecteur disséqué

Ceux qui disent ne pas lire ce type de littérature, c’est à dire  11% des lecteurs interrogés, montrent une certaine méconnaissance du genre. Ils parlent ainsi d’une « littérature enfantine » trop rattachée à la jeunesse : « j’en ai lu dans ma jeunesse, a répondu un lecteur, désormais je lis des romans plus classiques ». En écho à ce sentiment, certains jugent le genre trop simpliste avec des personnages « pas assez fins » et des intrigues « immatures ». D’autres estiment qu’ils ne sont pas suffisamment accompagnés dans la découverte de cette littérature, que ce soit à travers leurs études, ou en librairie. D’autres enfin préfèrent aux livres d’autres médias comme le cinéma : « l’imaginaire pour moi, c’est le cinéma ».

 

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Si ces réponses sont minoritaires dans notre sondage, ils reflètent une réalité à laquelle est confrontée la littérature de l’imaginaire aujourd’hui. Alors que la culture pop a envahi les médias et que le cinéma de super-héros engrange chaque année des bénéfices record au cinéma, cela n’a nullement profité à la littérature. Prenons George R.R. Martin, par exemple. Pour Thibaud Eliroff, « l’immense succès de ses romans Le trône de fer puis de la série télévisée tirée de ses livres n’a aucunement bénéficié à ses autres ouvrages ni, dans une plus large mesure, à la fantasy en général ». Une situation qui s’explique peut-être, pour Stéphane Marsan, directeur éditorial et littéraire mais aussi co-fondateur de la maison d’édition Bragelonne, par un malencontreux « hara-kiri » des éditeurs eux-même : à force d’augmenter la qualité de leur production, à travers les couvertures, les traductions ou encore la présence des auteurs en France, peut-être que les éditeurs ont raté le « massif », le grand public. Celui-ci a trouvé d’autres médias que les livres pour découvrir l’imaginaire.

La grande majorité des lecteurs ayant répondu au sondage a -heureusement- une vision plus positive du genre. Ils sont nombreux à lire régulièrement des ouvrages qui se rattachent à cette littérature. Pour ces lecteurs, ce genre est une manière de « s’évader », de « sortir de leur quotidien ». De même, ils louent la grande créativité des auteurs de SF, de fantasy ou de fantastique. L’évasion recherchée et la créativité des auteurs appréciée ne signifient pas pour autant un rejet du réel : ces différentes littératures leur permettent souvent, au contraire, de « réfléchir sur le monde présent », de « questionner les sociétés actuelles ».
Pour d’autres encore, à moins qu’il ne s’agisse également des mêmes lecteurs, les littérature de l’imaginaire sont tout simplement un genre littéraire comme un autre, aussi légitime et intéressant que peuvent l’être les romans policiers ou les romans dits de « littérature blanche ».

Comparer les résultats de notre étude avec celle de 2015 nous a permis de voir que la part de l’imaginaire avait légèrement progressé en 2 ans.

Littératures de l’imaginaire : le lecteur disséqué

Ces résultats nous montrent qu’il existe en outre deux types de publics : un public de « puristes » (44% des répondants) pour qui l’imaginaire est un genre majoritaire et un public de « curieux » qui lisent de l’imaginaire mais également de nombreux autres genres littéraires. L’existence de ces deux publics pose question : comment s’adresser justement à ces différents types de lecteurs ?

Pour les éditeurs présents lors de la conférence, la question ne se pose pas en ces termes, il s’agit simplement d’essayer de communiquer l’enthousiasme qu’ils ont pour un livre à des lecteurs qui ne sont pas forcément le public du livre. Avec les couvertures de ses livres, Mathias Echenay essaie, chez La Volte, « de faire en sorte qu’elles correspondent à un goût supposé des gens qui pourraient aimer le livre ». Pour Stéphane Désa et Thibaut Eliroff, il s’agit avant tout de « choisir un texte ». Ils savent que le livre va avant tout s’adresser à une certaine cible. Il y a ensuite, à travers la couverture notamment, un équilibre à trouver entre cette cible et le plus grand public. Tous s’accordent à dire qu’il faut des médiateurs entre le livre et le public pour que celui-ci soit correctement informé. Un rôle que doivent (ou devraient) tenir les médias mais aussi les libraires. Il apparaît cependant que les libraires qui ont un rôle de guide auprès des lecteurs, ne sont pas forcément tous connaisseurs du genre.

Donnée intéressante qui ressort du sondage, il semble que les femmes privilégient le fantastique quand les hommes préfèrent plus largement la science-fiction même si la majorité des lecteurs apprécient différents genres. 59% d’entre eux lisent deux ou trois genres de l’imaginaire.

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Littératures de l’imaginaire : le lecteur disséqué

Pour ce qui est de l’appartenance du genre à une nationalité, notre étude montre que les lecteurs sont une majorité à associer les littératures de l’imaginaire aux auteurs anglo-saxons. La part des auteurs français a toutefois légèrement progressé en deux ans, passant de 7% à 9%. A noter d’ailleurs, qu’un lecteur sur 4 lit en version anglaise originale.

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Sur la question du type de livres à travers lesquels les lecteurs lisent de l’imaginaire, on voit que les one-shot (publications en un volume) et les sagas sont les formats les plus populaires, des résultats identiques à notre étude de 2015. On note cependant que la part des recueils de nouvelles a augmenté en 2 ans, passant de 20% à 25%. Précisons d’emblée qu’ils ne sont par ailleurs que 57% à privilégier le poche, alors que le poche est, pour tout autre type de littérature, plébiscité par les lecteurs. Ceci est une vraie spécificité des littératures de l’imaginaire qui s’explique par le fait qu’il s’agit d’un public de connaisseurs fidèles et attachés à leurs auteurs ainsi qu’à l’objet livre. C’est devenu, pour Stéphane Marsan, un véritable problème pour le secteur car le grand format s’adresse avant tout à une niche. Les éditeurs devraient être plus efficaces en poche.

47 % des lecteurs interrogés lisent par ailleurs en numérique, un chiffre en progression par rapport à 2015. Ils étaient alors 38%.

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Les portes d’entrée du genre

Nous avons demandé aux lecteurs avec quel livres ils avaient découvert les littératures de l’imaginaire. On trouve dans la liste des classiques du genre comme Harry Potter de J.K. Rowling ou  Le Seigneur des anneaux de J.R.R Tolkien mais aussi des classiques d’école comme 1984 de George Orwell ou Le Petit Prince d’Antoine de Saint -Exupéry. Les lecteurs citent également des ouvrages plus récents comme Hunger Games de Suzanne Collins ou A la croisée des mondes de Philip Pullman. D’autres ouvrages sont plus anciens : Voyage au centre de la Terre de Jules Verne ou Le Horla de Guy de Maupassant. A noter que sur la liste des 38 livres, les auteurs français représentent un quart des réponses même si le classement est largement dominé par les auteurs anglo-saxons.

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Thibaud Eliroff trouve positif que les grands classiques comme 1984  soient des portes d’entrée au genre mais tous jugent dommage que malgré la présence d’ouvrages « jeunesse » tels que Harry Potter dans la liste, beaucoup de lecteurs aient abandonné l’imaginaire passé l’adolescence. La mission des éditeurs est peut-être justement de récupérer ceux qui ont quitté les terres de l’imaginaire après avoir dévoré Hunger Games. Pour Mathias Echenay, l’imaginaire reste pour beaucoup une littérature de jeunesse ou bien un « péché mignon ». Les lecteurs de 18/20 ans ne se retrouvent pas dans la SF ou le fantastique alors qu’ils ont adoré de nombreux ouvrages de Young adult ou bien Harry Potter. Mathias Echenay déclare ainsi avoir longtemps attendu, en vain, les enfants d’Harry Potter. Ils ne se sont jamais manifestés. Pire, le Young adult, qui comporte une large section imaginaire, s’est depuis quelques années imposé à tel point qu’il occulté le reste de la production de SF ou de fantastique. Les jeunes lecteurs de Hunger Games sont restés lecteurs de Young Adult et rares sont ceux à aller un peu plus loin en libraire pour trouver d’autres types de lectures qui pourraient pourtant les séduire. C’est là encore un travail que doivent effectuer de concert les éditeurs, les libraires et les médias.

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En février dernier, nous avions mené une enquête sur les adaptations de livres au cinéma. Il ressortait de cette étude que 70% des lecteurs avaient découvert un livre après avoir apprécié le film adapté. En est-il de même pour l’imaginaire ? Il semble que ce soit effectivement le cas même si le résultat n’est pas aussi marqué : 59% des lecteurs sont « entrés » dans la littérature de l’imaginaire par un film.

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Lesquels ? On leur a également posé la question et ce sont majoritairement des films récents qui sont cités. On constate également qu’il y a un recoupement entre les oeuvres citées ici et la liste des romans qui leur ont fait découvrir le genre. Ceci témoigne du fait que ce sont des univers forts qui ont permis aux lecteurs d’entrer dans l’imaginaire, que ce soit par le texte ou par l’image. On note par ailleurs, sans grande surprise, que l’adaptation réussit plutôt bien à Stephen King qui voit cinq de ses oeuvres citées dans la liste (et le sondage a été réalisé avant la sorti du film Ça 🙂 )

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Comment les lecteurs de l’imaginaire se procurent-ils leurs livres ?

La librairie occupe une place de choix pour les lecteurs et est en progression depuis 2015 (30 % il y a deux ans contre 34% aujourd’hui). Les lecteurs multiplient cependant leurs sources d’acquisition avec librairies donc mais aussi les grandes surfaces culturelles, internet et les bibliothèques.

Quant à la question de la découverte de nouveaux romans, on constate que les lecteurs multiplient les supports que ce soit en ligne ou en magasin. Chose étonnante, les médias occupent la quatrième place du classement alors que l’imaginaire est assez peu traité dans les médias traditionnels.

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En terme de prescription toujours, les lecteurs semblent privilégier le bouche à oreille à travers Babelio, leur entourage, les blogs mais aussi l’avis des libraires.

Comme nous l’avions vu en 2015, les lecteurs sont peu attachés aux maisons d’édition ou aux collections même si certaines semblent bien identifiées. Les lecteurs témoignent par la même occasion d’un fort attachement aux maisons indépendantes comme l’Atalante, Les Moutons électriques ou Mnémos qui arrivent assez haut dans un classement dominé par Bragelonne.

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Les prix littéraires restent de leur côté assez peu connus même si le Grand prix de l’Imaginaire ainsi que quelques autres prix ont gagné en notoriété depuis 2015.

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C’est, sans grande surprise, le thème du livre qui reste l’élément essentiel dans le choix d’un ouvrage. Le nom de l’auteur ou la maison d’édition sont des éléments secondaires.

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De manière générale, les lecteurs sont contents du travail des éditeurs et les encouragent à poursuivre leur travail. Certains regrettent toutefois que les couvertures soient trop apparentées au genre et aimeraient qu’ils s’ouvrent à un nouveau public.
Ils aimeraient également, que la place accordée aux auteurs français soit plus importante.
De même, ils regrettent souvent le découpage des séries qui ne reprend pas toujours la tomaison originale.

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Des perspectives d’avenir

On constate que le mois de l’imaginaire, une initiative lancée en ce mois d’octobre 2017 par un collectif d’éditeurs, connait une notoriété naissante. Un quart des personnes interrogées connaissaient l’opération, ce qui montre qu’il y a une bonne communication auprès du public.

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La concertation des éditeurs est pour Stéphane Marsan, la vraie « lumière au bout du tunnel » pour le genre. C’est cette concertation qui a abouti au Mois de l’Imaginaire. Une nouvelle perspective pour mieux communiquer auprès du grand public ?

 Retrouvez l’intégralité de notre étude sur Slideshare : 


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