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Infamie réelle

Publié le 14 octobre 2017 par Morduedetheatre @_MDT_

Infamie réelle

Critique de La Famille royale, de William T. Vollmann, vue le 8 octobre 2017 au Théâtre de la Cité Internationale
Avec Florian Bardet, Clément Bondu, Jean-Baptiste Cognet, Zoé Fauconnet, Isabel Gonzales Sola, Thierry Jolivet, Nicolas Mollard, Julie Recoing, Savannah Rol, Yann Sandeau, et Paul Schirck, dans une mise en scène de Thierry Jolivet

Lors de l’école d’acteur de Jérémy Lopez il y a 10 jours, ce dernier a lu un texte écrit par Thierry Jolivet, sur sa vision du théâtre. Une vision évidemment d’une extrême sensibilité, une vision où il ne s’agit pas de jouer mais bien d’être, une vision où le théâtre « n’est pas une technique, c’est un lieu, simplement un lieu, un lieu qu’il nous appartient de peupler, de désirs, de fantômes, de joies défaites et de colères victorieuses, un lieu à habiter ». Devant son adaptation de La famille royale, pas de doute : son théâtre, il le vit, et nous donne à voir quelque chose de réel – de tellement réel en vérité que ça en devient parfois indigeste.

Elle ne donne pas envie, l’Amérique de William T. Vollmann. Quand être en haut de l’échelle sociale signifie mépriser le reste du genre humain, ne plus avoir aucune morale, mais que la vision des bas-fonds n’est pas plus reluisante, présentant un monde en marge survivant grâce à de bonnes doses de prostitution et de drogue, il semble qu’il n’y a plus beaucoup d’espoir. Cependant, le schéma de l’âme humaine n’est pas non plus manichéen, et c’est sans doute ce qui fait la force de ce texte, reliant délibérément ces deux mondes que tout pourrait opposer.

Écrire là-dessus est un défi. Au sortir de la salle, une question me trotte dans la tête : peut-on réellement aimer un spectacle qui vous donne littéralement envie de vomir ? Pour ce genre de spectacle, le j’aime/j’aime pas ne semble pas de mise, et je suis toujours incapable de déterminer vraiment vers quel côté je penche. Si je reviens à de bonnes vieilles bases binaires, voilà ce que je me dirais…

Infamie réelle

J’aime les spectacles qui me remuent. C’est le cas de celui-là. Et remuer est un faible mot puisqu’en sortant de la salle j’était complètement vidée, comme si j’avais beaucoup trop donné de moi-même. J’aime les spectacles qui me laissent une impression forte. C’est encore trop tôt pour le dire, mais certains tableaux semblent s’être gravés en moi. L’ouverture du spectacle, notamment. Magistrale. J’aime les spectacles qui dérangent. Alors là, clairement, on est en plein dans le mille. C’est tout à fait le genre de spectacle où à plusieurs reprises on a envie de détourner les yeux tellement ce qui se passe sur scène est dur.

Mais j’aime la beauté et j’ai trouvé ce spectacle profondément laid. Tout ce qu’il incarnait – la violence, l’immoralité, la solitude – rapporte à des choses déprimantes qui me sont profondément désagréables. Le spectacle accentue encore le pessimisme qui règne dans l’oeuvre de Vollmann en proposant une version scénique totale, utilisant tous les moyens à sa disposition : le texte évidemment, qui résonne admirablement ici, mais également les lumières et la musique à travers le groupe Mémorial qui accompagne tout le spectacle, créant une atmosphère de tension absolue, et habituant progressivement nos oreilles à leur musique, tant et si bien que lorsque vers la fin elle n’est plus de mise dans certaines scènes, c’est le silence soudain qui devient étrange et provoque un nouveau dérangement intérieur. Ce spectacle joue avec nos sens et ne laisse pas indifférent – le plus beau rôle du théâtre, non ?

Ce spectacle, bien que repoussant par certains aspects, a quand même quelque chose de fascinant, et donne envie de se plonger dans l’univers de Vollmann. ♥ 

Infamie réelle



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