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Carminho à la Philharmonie :

Publié le 15 octobre 2017 par Paulo Lobo
Pour une fois, je commence par la fin. Images de spectateurs heureux, qui réfléchissent encore sur leurs visages la lumière éclatante du spectacle auquel ils viennent d’assister.On a envie de prolonger le plus longtemps possible dans l’immense foyer aux tubes blancs ce grand moment extatique. Enfin, extase n’est probablement pas le bon mot. Il faut que je cherche d’autres qualificatifs pour exprimer l’essence du concert que nous a offert Carminho dans la Philharmonie en ce samedi 14 octobre de l’an de grâce 2017.Sublime? Inspiré? Éclatant? Poétique? Authentique? Énergique? Élégant? Joyeux ?Oui joyeux, tiens, ça me va. Je dirais que nous, spectateurs et public qui emplissions la grande salle - impressionnant ce volume , on dirait une grande cathédrale de son et lumière - étions avant toit dans un état de plénitude joyeuse, ou de joie pleine. Cette fille dans son haut pantalon, accompagnée de ses quatre musiciens, était l’incarnation de la joie de vivre, de la joie de chanter. Puissante, fragile, s’amusant sur son fil tendu, faisant des clins d’oeil à la lune et au soleil, sans affectation et sans fard, Carminho est venue, a vu et a vaincu le monumental auditoire.Au départ, le temps des trois ou quatre premiers morceaux, je la sentais un peu timide, appréhensive peut-être, pas encore maîtresse de l’espace dans lequel elle se trouvait. Elle semblait ausculter la salle, étonnée de tant de tant d’ampleur, de tant d’amplitude, étonnée et prenant son temps de se rendre compte des dimensions, hauteur, largeur et profondeur. Qui avait-elle en face d’elle, qui était ce public innombrable, cette masse opaque de visages et de sourires, de mains qui applaudissaient. Carminho au début chantait et regardait à droite, à gauche, en bas, en haut, sur les balcons perchés et jusqu’au fin fond de la salle. Moien ou gudden owend, elle saluait les spectateurs, ech si frou hei zu sin, elle y va cash, lance deux ou trois phrases en luxembourgeois et en français, je savais à ce moment-là qu’elle avait conquis les cœurs… Puis elle poursuivait dans un anglais fluide, ses explications, ses histoires calées entre deux chansons, et c’était fascinant. Un petit incident une vingtaine de minutes après le début du concert fut révélateur : Carminho entamait un petit récit en anglais, soudain on entend une voix dans le public criant : « Fala português ! » Une injonction déplacée et irrévérencieuse qu’une autre que Carminho aurait laissé passer ou aurait prise avec le sourire ou même en s’excusant. Mais Carminho réagit à chaud et répond avec détermination à cette inconnue, en portugais : « Madame, ce n’est pas très poli d’interrompre quelqu’un qui est en train de parler. Par ailleurs, vous, amis portugais dans la salle, vous savez déjà ce que j’ai à dire, vous savez ce qu’est le fado, vous connaissez peut-être mon histoire, vous êtes peut-être polyglottes, mais il y a une grande partie de personnes présentes qui ne sont probablement pas au courant, qui ne comprennent pas les paroles des chansons et c’est à elles que je m’adresse en parlant en anglais… »Voilà, une réponse du tac au tac, Carminho est directe et sincère. Et poursuivra ses dissertations en anglais tout au long du concert (avec quelques petites digressions en portugais, quand même).Cette interruption et cette mise au point ont un mérite : elles font monter en puissance la chanteuse, la plaque de verre est brisée, et Carminho sent de plus en plus la présence d’êtres réels, incarnés, en face d’elle. Un public riant, souriant, retenant son souffle, applaudissant à tout rompre, subjugué par le naturel confondant de la fadiste.Nous étions alors dans un état de profond éblouissement - en même temps, le son était mieux réglé, et la voix et les instruments étaient d’une justesse cristalline absolue. Pendant plus d’une heure, Carminho devient une merveilleuse « menteuse », dans le sens que donnait son père à ce terme : « Mon père me disait que les fadistes sont les plus grands menteurs au monde : en une heure de chansons, ils arrivent à pleurer, rire, souffrir exulter, danser, en y croyant vraiment. »Nous étions rendus de toute façon au talent et à l’intelligence de la chanteuse. Avec son sourire unique et ses éclats de rire soudains, et son chant surtout, sa façon de prendre à bras le corps chaque morceau, chaque parole, avec souffle et vigueur, qu’elle est belle notre langue, qu’ils sont forts nos poètes, et aussi Vinicius de Moraes (quelle magnifique chanson - Saudades do Brasil em Portugal).Carminho est une chanteuse de fado et de musiques traditionnelles qui s’est débarrassée de tous mes clichés superflus, elle est simple, elle n’arbore pas de robes de stylistes flamboyantes, elle ne passe pas son temps à rechanter les chansons les plus connues, mais déploie un répertoire original, parfaitement équilibré, qui alterne fados mélancoliques et sombres et fados plus rythmés et allègres. On n’oubliera pas de sitôt des moments comme « As minhas penas » « Escrevi teu nome no vento » « Chuva no mar » ou le très dansant « Saia rodada ».Aucune place pour la technicité et l’académisme dans l’art de Carminho, c’est de l’amour qu’elle nous a donné, revenant avec plaisir pour deux encores : « J’aime chanter ! »
Carminho, une voix de velours, un chant d’une extraordinaire sensualité. Ce fut une très belle soirée, et tout le monde est sorti de la salle avec l’âme rayonnante.

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