On dit souvent que la prostitution est « le plus vieux métier du monde », bon, c’est une connerie mais ça veut bien dire qu’elle ne date pas d’hier. Certains se plaisent à penser que dès la préhistoire, les femmes vendaient leur corps en échange de nourriture. Moi, je vois ça comme un flirt, une offrande, plutôt que comme de la prostitution mais si vous avez des infos ou des liens à ce propos, je veux bien réviser mon jugement.
Ce que l’on sait, et on en est certain, c’est que dès les premières heures de l’Antiquité, les politiques et la religion ont tenté de légiférer sur la prostitution afin de la contrôler ou de l’interdire. La dernière loi date de 2016.
Voici un aperçu non exhaustif des mesures et souvent des sanctions visant les prostituées.
L’Antiquité, de la liberté de se vendre à la sanction
Loin de vouloir interdire la prostitution, en Mésopotamie aux alentours du Ve siècle avant notre ère, Hérodote écrit qu’à Babylone, il existe une pratique qu’il juge honteuse. Les femmes doivent se prostituer au moins une fois dans leur vie pour rendre hommage à la déesse de la fertilité. Le procédé est bien rodé, on ne peut pas faire ça n’importe comment. La femme doit entrer dans le temple d’Inanna et attendre qu’un homme lui donne de l’argent et « s’unisse à elle à l’intérieur du temple » pour qu’elle s’acquitte de son devoir. C’est seulement après s’être prostituée qu’elle peut retourner chez elle, avec en prime la bénédiction de la déesse. En Lydie, toutes les filles sont amenées à se prostituer avant leur mariage (elle est encore loin l’idée de se marier vierge) afin de constituer leur dot. De plus, elles sont libres d’épouser qui elles souhaitent, les familles n’ont pas leur mot à dire. C’est plutôt classe. Certaines décident d’ailleurs de ne jamais se marier et deviennent des courtisanes, d’autres se découvrent être infertiles et ne pouvant fonder de famille et intégrer un foyer, elles redeviennent ou restent femmes « publiques », gagnant leur vie grâce à la prostitution.
Mais attention, si en Mésopotamie, c’est une action sacrée ou au moins complètement acceptée dans la société, la prostitution dans les civilisations gréco-romaines n’est pas aussi bien vue. Pour autant, durant l’antiquité grecque la prostitution est largement répandue et elle n’est pas interdite. On tente ceci-dit de la contrôler et surtout, on ne mélange pas les mamans et les putains. Démosthène écrit au IVème siècle, « Nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu’elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre intérieur ».Pour trouver des putes, c’est assez simple, il suffit d’aller dans les ports des grandes cités grecques (comme aujourd’hui autour des gares et des grands axes de circulation) ou dans des bordels low-cost mis en place et autorisés par Solon. En effet, il s’agit de maisons de passes étatiques dont les revenus tombent directement dans la caisse de l’état. Pratique. En revanche, la prostitution prend plusieurs formes en Grèce : il y a les esclaves pornai (qui appartiennent souvent à l’Etat et se retrouvent dans les bordels de Solon), les indépendantes, les hétaïres…
A Rome, il existe une loi contre le proxénétisme mais pas contre la prostitution. Une esclave ne peut pas, en théorie, être prostitué par son maître. Dans les faits, très difficile à contrôler et la loi est assez inefficace. Les prostituées de basse condition ont l’habitude de racoler devant chez elles, alors qu’il faut aller dans une maison close pour trouver un service plus qualitatif et surtout plus discret. A partir du IIème siècle avant notre ère, les prostituées doivent obtenir une licence d’exercice (il suffit de l’acheter) ainsi, l’Etat taxe la profession et le trésor public se porte bien.
Avec l’arrivée du monothéisme, c’est mort, tout le monde veut supprimer la prostitution et l’opprobre apparaît de manière assez forte.
L’Ancien Testament, qui correspond à la chrétienté et au judaïsme est très clair à ce propos, on peut lire dans le Deutéronome(23,17) « Il n’y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d’Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils d’Israël. » Les choses sont dites, et si jamais certaines femmes ne respectent pas, des sanctions sont prévues dans le Livre des Roi ou le roi Josias démolit les maisons des prostituées. En effet, la prostitution représente une infidélité envers le Dieu d’Israël.
Dans les Evangiles (qui ne concernent que la chrétienté), les putes n’ont pas bonne réputation, certes, mais Jésus, dans sa grande bonté leur accorde le salut. Selon Saint Matthieu, la prostituée, peut quitter le statut de pécheresse en se repentant. Est-ce le cas de Marie-Madeleine ?
Aux balbutiements de l’Église catholique, les sanctions sur les prostituées sont plus morales que physiques mais au fil des siècles, les mesures prises pour supprimer la prostitution sont de plus en plus dures.
La prostitution médiévale, un mal nécessaire…
Jusqu’au XIVe siècle, la prostitution n’est pas encouragée mais elle est considérée comme naturelle et permet de contrôler les désirs des hommes, ça évite les éforcements (les viols) et les rapts. Mais elle permet aussi de les former aux gestes de l’amour (et c’est pas un mal). Les seigneurs qu’ils soient laïcs ou religieux en profitent pour se faire un peu de pognon, ben oui, business is business hein.
La prostitution médiévale autorisée est la prostibulum publicum Les bordels sont tenus par des abbesses ou un cabaretier qui paie de lourdes taxes à la municipalité. Les filles doivent attirer les hommes puis les faire picoler et manger, en général au rez-de-chaussée d’une maison ou d’une auberge, tout est au frais du client. Ensuite, si l’homme le désire et moyennant finance, il monte à l’étage avec la fille publique, encore appelée clostière, de son choix. Les filles ont un règlement à respecter, genre pas de baise pendant les fêtes religieuses comme Noël ou Pâques, ou la semaine sainte.
En théorie, selon le règlement, les clients doivent être des jeunes hommes non mariés.
Les filles qui souhaitent se prostituer de manière indépendante ont de nombreuses astuces, comme celle de se retrouver dans des lieux propices comme les étuves, ces endroits chauds et humides, où tout le monde est nu… ou encore dans des bordelages, des petits bordels privés. Les clients peuvent alors être mariés, vieux, et même les deux. Les filles publiques sont contraintes à différentes règles, déjà, la tenue, elles doivent porter des rayures jaunes et rouges. Il faut savoir distinguer les putes des honnêtes femmes, alors le racolage doit être notoire. Enfin, si une prostituée tombe enceinte, elle a deux solutions : se marier et élever son gamin ou abandonner son gamin à un hôpital public mais en aucun cas elle a le droit d’élever son enfant tout en continuant à se prostituer. Aussi, malignes, elles pratiquent le coït interrompu ou des rapports anaux et buccaux pour prendre le moins de risques possibles.
Le pieux Moyen-Age lutte contre les putains
En 1254, Saint Louis, qui comme son nom l’indique est très pieux, souhaite interdire officiellement la prostitution avec une ordonnance. En vain. Personne n’y croit et personne ne veut vraiment l’appliquer. L’ordonnance vise à éliminer la prostitution en interdisant les hôtels et les particuliers d’accueillir les putes chez eux (même contre un loyer). Saint Louis veut saisir les biens et expulser des villes toutes les prostituées du royaume. Y’a pas à dire, c’est ambitieux. Mais c’est surtout un échec car en 1256 soit, deux ans plus tard, une nouvelle ordonnance vient annuler celle de 1254 et rétablit la prostitution permettant la réouverture des bordels dans certaines rues.
Avec la Réforme de l’Eglise et l’importance du protestantisme, les normes changent à nouveau. Le rigorisme religieux veut faire interdire la prostitution, et la pression morale qu’il exerce sur la population marche assez bien dans certaines régions (le sud-ouest par exemple). Autre raison qui pousse les autorités à prendre des mesures contre la prostitution, c’est la syphilis qui à la fin du XVe siècle fait des ravages ! Aussi, en 1485, les filles publiques peuvent avoir le nez coupé mais aussi être marquées au fer rouge d’une lettre P (comme PUTE) sur le front, le bras ou la fesse. Les maquerelles ont la même peine, mais avec un M (comme Maquerelle) ou d’une fleur de lys. Charles IX, qui n’est pas un mec drôle, maintient l’interdiction et les sanctions physiques humiliantes et discriminantes, avec un édit royal qui stipule « Que toutes filles de joie et femmes publiques deslogent de nostre dite cour, dans ledit temps, sous peine de fouet et de la marque (…) »
Louis XIV devient dévot, qu’on enferme les putains !
Au début du règne de Louis XIV, c’est pas la grosse fiesta de la prostitution mais dans l’ensemble, on tolère. Au fil des années, rappelons que Loulou a régné pendant environ 100 ans (72 en théorie.. 60 années effectives), les choses ont évolué. Depuis qu’il fricote avec la Maintenon et qu’il voit son heure arrivée, Louis XIV se rapproche de l’Église, de ses valeurs et de sa morale. De fait, il trouve que la prostitution n’a pas sa place dans son royaume et il ordonne par édit royal que toutes les putains soient emprisonnées. Oui, toutes celles qui sont prises en flagrant délit de racolage sont envoyées à la Salpêtrière ou en prison.
C’est seulement lorsque le personnel de santé, souvent des prêtres et des religieuses, estime que la femme est redevenue saine d’esprit et qu’elle s’est repenti qu’elle peut sortir de prison ou de l’hôpital. Mais en cas de récidive, on peut lui couper le nez ou les oreilles, comme un siècle avant. A la mort de Louis XIV, Louis XV adoucit un peu les mesures, il tolère la prostitution et préfère réglementer la pratique plutôt que de l’interdire. Et pour cause, le Loulou XV, c’est un sacré coquin et s’il ne fréquente pas les bordels, c’est uniquement parce qu’il a une peur panique des maladies. Il préfère de loin jouir de son privilège de tête couronné pour pécho des jeunes filles vierges non vérolées ! En revanche, Louis XVI est de l’avis de Louis XIV et à nouveau les sanctions contre les prostituées sont plus lourdes. Mais encore, l’histoire n’a pas dit son dernier mot !
La tolérance post-révolutionnaire
Au début du XIXe siècle, comme je vous en ai parlé dans cet article, la prostitution n’est pas interdite, en revanche elle est très réglementée. Les femmes doivent s’inscrire à la préfecture en tant que prostituées pour avoir le droit de pratiquer leur activité de manière légale. Elles sont alors enregistrées et doivent se soumettre à des visites médicales tous les 15 jours pour ne pas refiler des maladies vénériennes à la moitié de la population.
La loi interdit le racolage (même s’il est largement pratiqué dans certains quartiers et dans les petites villes) donc théoriquement, toutes les filles de joie se retrouvent dans des bordels. Je vous en ai déjà parlé dans deux articles :
la vie quotidienne des prostituées dans les bordels
une nuit au bordel
La loi Marthe Richard ferme les bordels en France
Loi n°46-685 du 13 avril 1946 DITE MARTHE RICHARD TENDANT A LA FERMETURE DES MAISONS DE TOLERANCE ET AU RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LE PROXENETISME
Eh oui. Les bordels en France ferment tous et on compte bien lutter de manière active contre le proxénétisme. Il faut savoir que Marthe Richard n’était pas une bigote coincée du cul, non. Elle a elle-même connu la prostitution. De force.
Alors qu’elle a 16 ans, Marthe rencontre un bel italien dont elle tombe folle amoureuse. Lui aussi, enfin, soi-disant… En réalité, il voit en Marthe Richard l’opportunité de se faire un paquet de pognon. Le mec envoie la jeune fille dans un bordel à soldats à Nancy où elle doit pratiquer plus de 50 passes par jour, jusqu’au moment où elle contamine un soldat, elle est elle-même atteinte de syphilis, alors on la fout dehors. Elle rejoint Paris, seule et sans argent et décide alors de se prostituer dans une maison-close assez classe, puis elle rencontre son époux Henri Richer, en 1907. Marthe Richard décide alors de lutter contre la prostitution qui selon elle aliène les femmes (plus qu’elle les libère) et corrompt la société. En 1946, Marthe Richard, devenue conseille municipale de la ville de Paris fait une proposition de loi pour interdire les bordels.
A partir du 6 novembre 1946 toutes les maisons closes doivent être fermées, l’état n’accorde aucune indemnisation aux tenanciers. La politique est clairement abolitionniste. D’ailleurs, la prostitution de rue qui est interdite mais largement pratiquée voit un changement au niveau de la réglementation, l’état décide de taper là où ça fait mal. A partir de 1956, une ordonnance change le statut de racolage de délit à celui de contravention, ainsi, la sanction est pécuniaire et si les nanas filent plus de fric en contravention que ce qu’elles gagnent, alors elles vont arrêter de tapiner. C’est l’idée. Encore faut il que l’état mette les moyens pour lutter contre le racolage. Ce n’est pas le cas, les filles ont rarement d’amendes et la prostitution de rue est toujours très présente.
En 2000, la loi Sarkozy met en place une nouvelle mesure contre la prostitution, « le racolage passif » est interdit. Mais la société se modernise et la prostitution se pratique de plus en plus sur internet, bien sur les filles sur les bords des routes ou sur les trottoirs sont nombreuses, mais sur internet le business explose. Les trafics aussi. En 2013, une loi visant à pénaliser les clients a été envisagée mais elle n’a pas passé les grilles du Sénat.
Pour découvrir l’histoire de la prostitution en BD, je vous conseille celle-ci et du même auteur, une étude très intéressante : la métaphysique de la Putain. On remercie Penny pour ses illustrations et on découvre sa page facebook (très drôle) ici ! Si vous voulez soutenir le blog (parce que vous aimez bien apprendre des trucs) vous pouvez vous abonner sur Tipeee ou acheter les trois livres.