C’est ce que fait avec une infinie patience et une grande intelligence George Smiley, ancien cadre des services secrets britanniques, mis à la retraite dans la foulée de la crise qui a secoué ce service du Foreing Office et communément appelé le Cirque. Plus qu’une crise, un effondrement. Bien des têtes sont alors tombées avec la sienne. Cette crise fut la résultante du travail de sape d’une taupe. Dans le jargon du métier, un membre de l’équipe qui, en fait, bosse pour l’ennemi. En l’occurrence les Russes que les services secrets espionnaient intensément durant la guerre froide. Il faut savoir que ce livre a été publié en 1974, bien avant la chute du mur de Berlin et de l’éboulis que celle-ci a provoqué sur le plan des alliances des pays de l’Est.
Comme d’habitude, le Carré éblouit. Chacun de ses personnages est bien campé, nuancé, crédible. Smiley est particulièrement attachant. Et toujours ces multiples identités qu’ils transportent avec eux, comme une métaphore de leur personnalité complexe impossible à réduire à quelques traits de caractère simplistes. L’auteur nous initie également à ce monde underground, glauque, ces guerres secrètes et parfois meurtrières que se font les pays sous prétexte de sécurité et dont l’argent et le pouvoir sont comme toujours le carburant.
Jim Prideaux arriva un vendredi sous la pluie battante. La pluie déferlait comme la fumée d’une canonnade sur les combes brunes des Quantocks (des collines anglaises), puis balayait les terrains de cricket déserts pour fouetter le grès des vieilles façades. Il arriva juste après le déjeuner, au volant d’une vieille Alvis rouge, avec en remorque une caravane d’occasion qui jadis avait été bleue. Les débuts d’après-midi au collège Thursgood sont une période tranquille, une courte trêve interrompant le combat incessant qu’est chaque jour de classe. On envoie les élèves faire la sieste dans leurs dortoirs, les professeurs prennent le café dans la salle commune en lisant les journaux ou en corrigeant les devoirs. Thursgood lit un roman à sa mère. De tout l’établissement, donc seul le petit Bill Roach assista en fait à l’arrivée de Jim, vit la vapeur qui jaillissait du capot de l’Alvis tandis qu’il dévalait en hoquetant l’allée du gravier, les essuie-glaces fonctionnant à toute vitesse et la caravane frémissant à sa poursuite en franchissant les flaques.
La taupe a donné lieu à deux adaptations cinématographiques (Wikipedia).
John le Carré, La taupe, premier tome de La trilogie de Karla, Éditions du Seuil, 1974, 380 pages