Comme vous avez pu le constater sur les réseaux sociaux, ces dernières semaines je suis partie à l’étranger, c’est pourquoi le rythme de publication a un petit peu ralenti. Oui, après presque cinq ans (déjà) de travail intense à porter RMLH à bout de bras, un soutien sans faille de plus de 200 lecteurs sur Tipeee, plus des petits boulots (relous) et des prix attractifs chez RyanAir j’ai enfin pu prendre l’avion pour découvrir le monde (un article sur la Croatie est en cours de rédaction). Et c’était chouette.
Je vous en ai déjà parlé sur twitter et facebook, le lundi 16 octobre j’ai visité la léproserie désaffectée d’Abades, sur l’île de Tenerife aux Canaris. Durant la matinée, j’étais toute seule à parcourir les chemins de terre pour découvrir la trentaine de bâtiments en ruine et la célèbre église et très franchement c’était super flippant (notamment parce qu’il y avait des seringues usagées, des tessons de bouteilles partout mais aussi des animaux morts… Genre une moitié de chat [ne clique pas si tu préfères les animaux vivants]…) ensuite d’autres touristes sont arrivés et j’ai moins eu l’impression que j’allais me faire égorger par un anarchiste canarien sous LSD, parce que c’est un peu l’ambiance des lieux quand même…
Je quitte désormais mon ressenti pour vous raconter l’histoire de ce sanatorium désaffecté emblématique de l’île de Tenerife que j’illustre avec mes photos de vacances (ben quoi, on peut joindre l’utile à l’agréable, non?). C’est donc un article un peu différent des autres, mais pourquoi pas après tout !
La lèpre à Tenerife au XXème siècle
Au milieu du XXe siècle, quelques années après la Guerre Civile et l’arrivée au pouvoir de Franco, une épidémie de lèpre touche près de 200 personnes sur la seule île de Tenerife (ce qui en fait l’endroit en Espagne où la concentration de malade est la plus élevée du pays). Sur l’archipel, la religion est très importante et les habitants considèrent la maladie comme une punition divine. Or, il n’en est rien et les médecins décident qu’il est temps non pas de soigner les malades parce qu’on ne sait pas le faire, mais de les parquer dans un grand établissement où les conditions climatiques semblent bonnes pour ralentir la progression de la maladie (pour ceux qui y passent, le crématorium est également construit sur place afin d’éviter le contact avec les personnes saines). Le choix se porte sur la colline d’Abades, face à la mer, c’est assez éloigné des villages environnants.
Retour sur la lèpre en Europe
La lèpre n’est pas une maladie du XXe siècle, loin de là, elle est connue depuis l’antiquité, en 600 avant notre ère, la maladie est déjà décrite en Chine, en Égypte mais aussi en Inde. Au Moyen Age la lèpre est un véritable fléau en Europe, les croisades ont largement contribué à propager la maladie mais les conflits en général et le commerce sont les principales causes de propagation de la lèpre. Il faut savoir que les conditions de vie médiévales ont permis à la lèpre de prendre ses aises dans les villages et de s’y installer confortablement, en effet, les ordures contaminées jetées dans la nature et dévorées par les animaux, eux même mangés par des humains suffisent à transmettre la maladie. Tout comme le fait de partager un repas avec les doigts à même le plat comme on le fait dans toutes les maisons au Moyen Age. Pour peu qu’un des convives ait la lèpre et bim, t’es foutu. En plus, les maisons peu aérées et l’humidité sont des facteurs accélérateurs de la maladie. De fait, les familles aisées et les couches supérieures de la société sont moins soumises aux contaminations.
Pour autant, des mesures vont être prises pour limiter la propagation de la maladie, du genre : l’exclusion du lépreux de la société. Eh oui. Pour être exclu, le malade doit remplir certaines conditions physiques comme avoir les pupilles dilatées, les lèvres crevassées, le visage tuméfié et un nez qui se creuse jusqu’à disparaître. Mais aussi des tests sanguins. Pas tels qu’on les connaît… Un médecin saigne le lépreux et récupère un échantillon de sang qu’il jette dans de l’eau, si le sang reste rouge, ça va si non direction la léproserie ! Mais là encore, il y a tout un rituel religieux à respecter, il est quasiment identique dans tous les pays d’Europe. Le curé donne un manteau et des vêtements gris ou noirs avec des insignes en forme de patte d’oie ou de de cœur rouge afin que les villageois sachent que c’est un lépreux. Sur sa route vers la léproserie, le malade doit jouer de la corne ou d’une cliquette tous les dix pas afin d’indiquer sa présence. Lorsqu’il arrive à l’église la plus proche de la léproserie, un curé célèbre l’office des morts que le malade doit écouter avec un drap sur le visage pour symboliser sa mort. Mais ce n’est pas tout, ensuite le curé conduit le lépreux au cimetière ou un simulacre d’enterrement est pratiqué. Le lépreux rentre dans une tombe, on lui jette de la terre dessus en récitant des prières et en disant « mon ami, tu es mort au monde ».
C’est seulement après tout ce rituel super glauque que le mec peut accéder à la léproserie. Il est mort aux yeux de tous. Il ne peut communiquer qu’avec les autres lépreux, il ne peut pas toucher les plantes de la nature sans gant. D’ailleurs, s’il ne sort pas de la léproserie c’est encore mieux. S’il existe plus de 20 000 léproseries en Europe au Moyen-Age, lorsque les malades vivent trop loin de la plus proche, on peut leur construire une cabane au milieu de la foret. En revanche, les malades les plus aisées peuvent faire venir leurs biens mobiliers dans la léproserie, histoire de pouvoir mourir seuls sur leur beau et confortable canapé…
La lèpre a fortement disparu en Europe à partir du XIVe siècle mais deux cent ans plus tard, la traite des hommes dans les colonies ont exporté la maladie en Amérique du Sud et dans les Caraïbes…
Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que le médecin norvégien Armauer Hansen découvre la cause de la maladie : le mycobacterium leprae. Pour autant, on ne sait toujours pas comment soigner la maladie. Jusque dans les années 1930, on utilise des huiles de chaulmoogra et d’olno.
La lèpre est le franquisme
C’est Franco qui est à l’origine du projet. Pour lui, il faut que les malades quittent l’humidité du nord de l’île pour profiter de l’air sec du sud, aussi, il fait appel à l’architecte José Enrique Marrero Regalado pour construire les bâtiments. En réalité, il veut surtout éviter une trop grande propagation de la maladie, car à peine sortie de la guerre civile et en plein conflit mondial, Franco veut que les hommes soient prêts à partir au combat et non pas les voir perdre les membres alors il a pour projet de construire un village pour les lépreux. On y trouve une église surmontée d’une énorme croix, mais aussi réfectoire, infirmerie, salle d’eau, salle de détente, dortoir, crématorium et même salles de classe… trente quatre bâtiments en tout (surtout parce que les pièces n’étaient pas mixtes, ils ont du tout doubler ou presque). Le style est franquiste et néo-canarien (synonyme de tout bétonner sans travail particulier…). Alors que le village pour les lépreux est presque terminé, on découvre des médicaments efficaces pour lutter contre la lèpre et le projet d’accueillir les malades n’aboutit pas.
C’est quand même bête de s’être donné autant de mal pour finalement abandonner l’idée, mais rien n’est jamais vain et le village fantôme va malgré tout être occupé.
La nouvelle vie du sanatorium
Si les lépreux ne mettent jamais les pieds (s’il leur en reste) sur le site, ce sont bien les militaires qui vont investir les bâtiments (après les membres de la Phalanges espagnoles, un groupe de fascistes) dans les années 1960 pour s’entraîner au tir. Ils vont alors détruire une partie des murs existants. A partir de 2002, l’armée quitte le site qui est vendu à un Italien qui lui non plus n’y met jamais les pieds. De fait, l’endroit est squatté régulièrement, de nombreux grafs ornent les murs, parfois avec des propos anarchistes, d’autres religieux, et certains sont justes moches. Des fêtes y sont organisées et parfois même des rituels nocturnes un peu chelous, des animaux morts sont régulièrement retrouvés sur place, comme des poules. Moi j’ai juste pu constater une moitié de chat et des pigeons morts.
A San Francisco de Borja, à coté d’Alicante, en Espagne, il existe encore une léproserie qui accueille des malades depuis 1909. Aujourd’hui on compte une quarantaine de lépreux mais la capacité maximale est de 400 personnes et dans les années 1950, l’établissement était complet ! Il s’agit de la dernière léproserie encore en activité en Europe.
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