Quatrième de couverture :
Un homme sur une moto, à laquelle est accrochée une remorque bringuebalante, traverse la campagne ukrainienne. Il veut se rendre dans la zone interdite autour de Tchernobyl. Il a une mission.
Le voyage de Gouri est l’occasion pour lui de retrouver ceux qui sont restés là et d’évoquer un monde à jamais disparu où, ce qui a survécu au désastre, tient à quelques lueurs d’humanité.
Les mots me manquent pour parler de ce court roman d’Antoine Chplin qui raconte avec une grande économie de moyens une soirée, une nuit, un repas quelque part pas loin de « la centrale » qui n’est jamais nommée. Un rendez-vous entre Gouri et son passé lorsqu’il vivait à Pripiat, un rendez-vous marqué d’une étape chez Yakov et Vera, le temps de quelques heures chez des amis. Le temps pour Antoine Choplin d’évoquer à mots couverts la catastrophe, l’évacuation sans explication des habitants de Pripiat, les sauveteurs qu’on a exposés à des taux de radiations mortels, la pluie noire, les villages abandonnés, la terre souillée. Et surtout les gens, ceux qui ont survécu, ceux qui vivent avec la mort en embuscade dans leur chair, ceux qui voudraient revenir là où ils habitaient, et ceux qui gardent la vie vivante, si je puis m’exprimer ainsi. Vera et son accordéon, Vera et ses gestes souriants, et Yakov qui se souvient des jours qui ont suivi la catastrophe et ne sort plus guère de son lit, et Gouri qui met ses talents d’écrivain public au service des exilés, des survivants, Gouri le poète tellement nostalgique. Si Antoine Choplin raconte ce moment avec simplicité, en se « contentant » presque de relater ce qu’il observe des gens et du paysage, il sait nous faire ressentir ce sentiment d’abandon, de déréliction qui plane sur la zone. Mais il montre aussi que les mots qui disent, qui poétisent, qui relient les gens sont des traces d’humanité précieuses qui ne s’éteindront pas.
« Ca va te paraître étrange peut-être, mais cette zone, même avec sa poisse qui s’est fichue partout et qu’en finit pas de te coller à la peau, eh ben c’est un endroit que j’aime bien. Je m’y sens pas si mal. Sûr que c’est autre chose que le monde normal. Disons que c’est pas la même pourriture. Mais, à choisir, je crois que je préfère la pourriture d’ici. Elle est peut-être aussi vicelarde que l’autre mais, comment dire, avec elle tu valdingues quand même pas autant dans le caniveau. »
« Son corps entier frissonne.
A cause, peut-être, des solitudes amoncelées.
Emboîtées comme des poupées gigognes. La sienne propre à Gouri, d’homme singulier; celle de cette zone maudite, ce trou noir du monde; celle aussi de son espèce, humaine, et de son vaisseau terrestre qui s’est fichu là, au coeur de l’immensité. »
J’ai été infiniment touchée par ce point de vue sur Tchernobyl. Merci à Marilyne de m’avoir poussée à sortir ce roman de ma plantureuse pile à lire
Nous avons lu chacune un livre en lien avec Tchernobyl : Marilyne a lu La Zone de Markiyan Kamysh. (Son billet sur La nuit tombée ici).Antoine CHOPLIN, La nuit tombée, La fosse aux ours, 2012
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