L’homme ne vit réellement sa vie que dans la paix végétale des squares municipaux, devant le canard de Barbarie.
L’eau est noire sous les frondaisons, lisse comme une dalle, pailletée de feuilles jaunes et de plumes de cygne.
Des troncs horizontaux la frôlent, qui ont des ondulations de serpent, des peaux craquelées de vieil éléphant, des formes animales, des enlacements de boas, parfois des reptations qui les font glisser sur les eaux comme des couleuvres gigantesques.
On ne sait si la tête du canard à col vert, quand il traverse une zone ensoleillée, est une émeraude ou un saphir. Son crâne étroit surmonte des yeux étranges. Il a des pattes en plastique orangé.
Le cygne, idiot et sévère tant qu’il tient son cou raide au-dessus de sa masse neigeuse, ressemble à un manche de parapluie acrimonieux. Il glisse en faisant des V sur l’eau.
Dans les ténèbres végétales, de l’autre côté de la vasque, un pull-over d’un rouge éclatant brille comme une fleur de forêt vierge, une de ces fleurs indiennes qui éclosent tous les cent ans.
(La Montagne – 29 septembre 1964)