Cunninlynguists « Rose Azura Njano » @@@@½
Sagittarius Laisser un commentaireEn pleine cambrousse américaine, il n’y a pas grand chose à y faire mais de belles choses à y trouver en regardant bien. C’est là-bas, à Versailles, dans le Kentucky, cet État coincé entre le Tennessee, l’Ohio et la Virginie, qu’on a trouvé une pépite, Deacon The Villain. S’est joint à lui une perle, Kno, provenant d’Atlanta et c’est ainsi qu’au début des années 2000 est né à Lexington le groupe Cunninlynguists, révélé grâce à leur premier coup d’éclat Will Rap For Food. Le duo grossira peu de temps après avec l’arrivée de Mr SOS en 2002, remplacé après la sortie de SouthernUnderground par Natty, lui aussi originaire du Kentucky, pour le grand classique underground A Piece of Strange (qui a eu droit à une belle réédition début 2016 pour ses dix ans). Cette formation est restée telle qu’elle depuis 2004.
Six ans après Oneirology, ce trio atypique ajoute un nouvel opus à leur discographie exceptionnelle, Rose Azura Njano. Parfait pour l’automne.
Rose Azuza Njano est ce nom coloré qui a été donné à cet album, ou plutôt ce personnage incarné par cette femme tout de jaune vêtue dessinée sur la pochette. D’après ce qui est décrit le site du label indé QN5, cette femme, atteinte de chromesthésie, un autre nom pour la synesthésie (le fait de percevoir des couleurs en écoutant de la musique), personnifie selon les auteurs « la musique Noire en Amérique et son histoire douloureuse, ses épreuves et mouvement socio-politiques. » Illustration dès le premier morceau dont le titre porte les couleurs du drapeau américain (« Red, White and Blues » qui peut très bien signifier ‘rednecks’ ou le sang, les Blancs et la police), relatant la peine et la souffrance que vivent les communautés dans le pays, ce mal profond qui refait surface. Et c’est là que l’album enchaîne logiquement sur le second titre « Riot!« , revenant sur les réactions de colère que connaissent depuis deux ans déjà les afro-américains battant le pavé.
Leur musique rap ne change pas : du hip-hop superbement bluesy, parfois accompagné de mélodies dolentes de guitares électriques. Elle atteint toujours des sommets de magnificence et là on se lève et on les applaudit tous les trois. Toujours beaucoup de mélancolie et de merveilles en elle, comme sur ce « Red Bird » à la tristesse infinie, ou ce « Violet » qui s’achève par un sample de voix blanche et tremblante, provoquant ce frisson des vents froids qui nous paralysent l’hiver. D’ailleurs c’est par une note de couleur que se termine Rose Azura Njano, « Earth to Venus (A Tiny Orange Star)« . Pour nous relever la tête du tapis de feuilles jaunies et brunies qui jonchent le sol mouillé par la pluie, quelques titres apportent un peu de chaleur et de lumière pâle (« Any Way the Wind Blows« , « Mr Morganfield and Ms Waters » qui se conclut par un « RIP Phife Dawg« ). Difficile de décrire les autres titres (« Hustlers« , « No Universe Without Harmony« , « Gone« ) tellement on reste subjugué par tant de beauté et de poésie. Ce sixième album des CunninLynguists est, encore une fois, une magnifique expérience.