Lundi 30 octobre à l'Hôtel Ambassador passe aux enchères la correspondance Elie Faure, déjà annoncée ici. Le premier catalogue Alde ne comportait que 131 lots (voir ici). Une deuxième version (voir ici) en compte désormais 312, avec parmi les nouveaux lots un très intéressant manuscrit autographe de 6 pages de souvenirs de Jean Cocteau.
Dans ces pages, Feu l'artifice, comme on surnomma Cocteau après sa mort, règle quelques comptes avec ses amis dadas, et avec Gide : " Pour me déboulonner, le petit tourne-vices de Gide ne suffisait pas. " Cocteau explique aussi comment Gide " soudain choyé par des jeunes [...] se sentait si loin de nos groupes qu'il m'avait prié d'instruire son jeune neveu Marc. Ma bibliothèque, me dit-il, l'assomme. Éclairez-le sur ce qui se passe de neuf. Tâche dont je m'acquittais avec fruit, puisque Marc, à travers toutes les manœuvres de son oncle, m'est toujours resté fidèle. "
Lot 211 - COCTEAU (Jean)
Manuscrit autographe. 6 pp. in-folio d'une fine écriture.
Longs souvenirs évoquant les années 1918-1920, la publication de ses ouvrages Le Cap de Bonne-Espérance et Le Coq et l'arlequin, ses relations houleuses avec Gide (" Pour me déboulonner, le petit tourne-vices de Gide ne suffisait pas "), Breton, Aragon, Soupault, Picabia, le mouvement Dada, Cendrars, Jacob, Adrienne Monnier, Radiguet, Reverdy, Salmon, Satie, Valéry, les revues Littérature, Nrf, Les Écrits nouveaux...
" ... Le lendemain, je reçus de Breton une lettre. Il demandait à réentendre Le Cap. "Rendez-moi votre amitié", finissait-il, "je saurai m'en montrer digne". Je me laissai prendre. Je rendis l'amitié. Je ne refusai pas de voir mon nom au sommaire. Je leur donnai une étude sur le Socrate de Satie. Comme récompense, ils me fâchèrent avec Satie qui fréquentait alors chez Monnier, ou du moins envenimèrent une de ces querelles fréquentes entre Satie et moi. De ce jour, ils cherchent par tous les moyens à me nuire. Un article de moi ayant paru où j'annonçais Littérature et parlais de leur don, le mot don exaspéra le jeune Aragon qui m'écrivit une lettre d'insultes. Ils firent de moi une espèce de machine infernale à brouiller le monde. Vint le dadaïsme. Habiles à sauter en croupe de ce qu'ils imaginent aller le plus vite, faire parvenir le plus vite, ils sautent en croupe de ce Dada.
Les mystifications de Jarry se transposent. Ils écrivent des lettres anonymes. Accusent ceux qui les reçoivent de les avoir écrites. Inventent toute une trame ignoble qu'ils cachent sous des airs dignes et des fausses accusations. Sur une grande échelle ce serait le régime de la Terreur. Sur cette échelle, c'est le régime de la pitié, du collège, de l'Oscar Wildisme moderne. Souvent Breton a feint de se réveiller, de me tendre la main. Je le croyais. C'était simplement le préparatif d'une nouvelle farce. Sitôt en croupe de Dada, ils prétendent que leur culte de Gide n'était qu'une manière de le bafouer. Ils le disent à Picabia qui me le répète, mais ils continuent les caresses à Gide et s'introduisent à la Nouvelle revue Française où ils amènent un désordre sans fraîcheur. Mais pourquoi m'étendre. Je ne connais pas de spectacle plus triste que celui de la jeunesse sans amour et sans clairvoyance. Tous ces groupes se réunissaient pour reconnaître en Raymond Radiguet une jeune prodige.
On lui enseignait à me mépriser. Il me connut, m'aima, méprisa les autres. C'est ma revanche. Elle me suffit... "
Estimation : 1 000 € / 1 500 €