Le blog, lab des écrivains en devenir ou champ d'expérimentation des thèmesEt cela donne des choses très intéressantes. Je partirai de quatre expériences démarrées sur le web 2.0 qui se sont terminées par la production d’une oeuvre au format papier. Je débuterai par la moins connue des auteures auxquelles je vais faire référence. Reine Mbéa est une chargée en communication quelque part dans le grand nord froid du Canada quand elle entreprend en 2009 la création d'un blog. Elle y raconte les turpitudes d’une jeune fille de Yaoundé qui essaie tant bien que mal de survivre dans cette grande ville africaine. En commençant les rubriques de Sissi son personnage, je ne sais pas s’il est dans son intention de publier un roman. Mais il s’avère que ces aventures plaisent au public qui suit son blog. Après cette démarche extrêmement valorisante, Reine Mbéa publie son premier roman aux éditions Edilivre. De cette littérature africaine en blog, je pourrai vous parler de l’expérience que conte également Hemley Boum, camerounaise comme Reine Mbéa. Le clan des femmes, son premier roman publié aux éditions L’harmattan a connu une trajectoire similaire. Un blog. Un public jury qui suit l’écrivaine dans sa démarche. Une publication. Depuis, Hemley Boum a publié deux autres romans qui ont reçu plusieurs prix littéraires parmi lesquels on peut citer le Grand Prix littéraire d’Afrique noire, le Prix Ivoire ou Prix du livre engagé de la CENE littéraire. Mohamed Mbougar Sarr à l’instar de son compatriote Elgas tiennent des blogs dans lesquels ils expérimentent des thèmes d’écriture. C’est ainsi que Mohamed Mbougar Sarr s’apprête à publier un roman qui abordera un sujet peu traité frontalement en littérature africaine : l’homosexualité.
On voit donc que pour ces auteurs, qui ne sont pas les seuls à avoir emprunté la démarche singulière du blogging pour leur projet d’écriture, le web 2.0 constitue un laboratoire, un lieu d’évaluation d’un projet littéraire. Je pourrai aussi parler de ces internautes qui écrivent sur le web et qui ne publient pas. Des textes trop sulfureux pour leurs proches et qu’ils savent éphémères sur le web là où le texte imprimé laisse une trace indélébile. On peut citer Ndeye Fatou Kane, Ralphanie Mwana Kongo ou Mrs Roots qui vient de publier son premier roman et qui tient un blog qui vaut le détour en proposant entre autre une critique littéraire intéressante et engageante. Tout concourt à indiquer que le blog agit comme une salle de musculation en préparation d’un événement sportif. Le premier acte étant l’écriture puis la publication. Il est important que cet acte d’écriture sur un espace éphémère n’est pas dénoué de toute forme esthétique. Il suffit de côtoyer la plateforme Choses revues de Mohamed Mbougar Sarr.
Quand les réseaux sociaux supplantent le blog...Le concept de l’écriture en blog s’est étendu sur un support média cousin : les réseaux sociaux. Là aussi, des apprentis écrivains tâtent leur public avec des réussites parfois étonnantes. Koffi Eric-Innocent Konan, blogueur, chroniqueur radio par exemple anime le blog Les couleurs 2 la vie et publie régulièrement des chroniques en ligne, mieux des nouvelles perfectibles qu’il soumet à l’appréciation de ses lecteurs et lectrices. Plus interactif que le format du blog actuel, Facebook - pour citer ce réseau social - offre des possibilités d’enrôlement quand on est engageante et persuasive. L’écrivain peut donc quasiment en temps réel penser une oeuvre collectivement. Est-ce encore de la littérature ? C’est peut être là une question même si je pourrai objecter que les maisons d’édition parisiennes remodèlent certaines les oeuvres sur des canons esthétiques plus relevés mais aussi dans un souci de ce qu’elles puissent coller avec les attentes d’un public consommateur. Il serait intéressant de voir comment ces écrivains blogueurs ou slameurs arrivent à convertir leurs publics virtuels quand ils produisent une oeuvre d’art matériel (CD, livres, etc.).
De la critique littéraire en blog.Si on considère que la critique littéraire consubtantionnellement liée à la littérature africaine, il est d’abord intéressant de juger les usages du web 2.0 par les auteurs. Il y a dans l’histoire de la blogosphère des auteurs qui ont exploité le blog de manière extrêmement intelligente en usant maestria des règles de visibilité afférentes à cet outil. Par exemple l’auteur Alain Mabanckou a fait de son blog littéraire Le crédit a voyagé une plateforme qui offrait des rubriques très riches :
- Les brèves du Blog
- Choses vécues
- Événements
- Général
- Les lettres du Blog
- Complicités littéraires
- Les vraies fausses interviews
- Portraits d’écrivains
Entre 2004 et 2009, il a capté l’attention de la communauté littéraire francophone et il a profité de sa notoriété naissante pour parler d’autres auteurs de l’espace francophone. Sans être dans la démarche d’une critique littéraire rigoureuse ou, pour être plus exact, technique. La plate-forme d’Alain Mabanckou recommandée par le critique littéraire Pierre Assouline a atteint des sommets en terme d’influence et surtout d’interactions. Certains articles ont frisé les 500 commentaires. Kangni Alem, puis Florent Couao-Zotti ont produit également des notes et analyses par le biais du blog. Il y a sur les blogs une forme de partage et d’altruisme que n’offre par un site web froid d’auto-promotion. C’est souvent sur ce type de plateforme qu’on a eu des critiques littéraires d’auteurs sur d’autres écrivains, parfois contemporains. Ainsi Alain Mabanckou m’a permis de découvrir par ses portraits d’écrivains ou des romans d’auteur comme Gary Victor, Salim Bachi ou Yahia Belaski… Kangni Alem quant à lui m’a introduit à l’univers de Blaise N’Djéhoya, aux auteurs togolais souvent, à ces coups de coeur comme le chinois Mo Yan. L’expérience des écrivains blogueurs n’a pas énormément duré. Et avec elle, c’est l’expérience de la critique littéraire entre écrivains déjà présentes via le média Africultures ou Culture Sud qui s’est estompée au grand regret de beaucoup. Trop d'aigreur et de narcissisme. Peu d'altruisme...
Libération d’une nouvelle critique littéraire via la pratique du bloggingLe web 2.0 a permis le développement d’une prise de parole citoyenne qui jusque là était corseté par les médias mainstream ayant une puissance technologique pour porter une parole. Avec les premières plateformes numériques, la contrainte technologique était posé et réduisait le développement de celle ci par des informaticiens chevronnés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La critique littéraire journalistique classique a été enrichie par toutes les prises de parole des lecteurs qui participent au commentaire plus ou moins élaboré, plus ou moins rigoureux sur des oeuvres littéraires. Ces prises de parole entrainent également des productions de critiques littéraires publiées comme ce fut le cas de Liss Kihindou qui a abordé la question du métissage dans l’oeuvre dans la littérature africaine en traitant entre autre le travail d'Henri Lopes et Williams Sassine ou celui de Négritude et fleuvitude.
On pourrait regretter le caractère souvent éphémère de ces pratiques de chronique littéraire en ligne. La démarche étant peu lucrative, il est compréhensible de cerner la lassitude du blogueur littéraire s'il n'est pas mû par des motivations profondes, peu mercantiles.
Je vous laisse quelques adresses intéressantes et actuellement actives pour vous faire une idée :Valet des livres, Novi-novi, La demoiselle Chocolat, La plume francophone, Les chroniques de Tchonte, Calebasse à livres, Chez Lo, Babelio, Afrolivresque, Grace Minlibe, Le sanctuaire de Pénélope... La liste n'est évidemment pas exhaustive. Sur un format assez proche, le podcast, j'aimerais souligner l'arriver d'Encre afro. Dani et Boris qui animent ce soundcloud ont une démarche originale. Je souhaite longue vie à leur plateforme disruptive en termes de contenu.