La Nouvelle-France, colonie-comptoir
Lorsque la France a colonisé l’Amérique du Nord, de nombreux hommes ont été envoyés sur place afin de créer une colonie d’exploitation du commerce de la fourrure. Oui, les animaux qui vivent au Canada ont le poil soyeux et on aime bien porter des chapeaux en castor en Europe. Les hommes entrent en contact avec les indiens, récupèrent les infos sur les différents animaux mais aussi les lieux les plus stratégiques, puis ils tentent de faire du commerce. Pendant de nombreuses années les Européens ont échangé des fourrures contre des objets de la vie quotidienne tels que des miroirs, des ciseaux, des vêtements… qui paraissent très précieux pour les indigènes. Aussi, le commerce est florissant et en 1666, en Nouvelle-France on compte près de 800 hommes installés entre 16 et 40 ans qui sont célibataires contre seulement 45 femmes, ce n’est pas très égal. Parfois, les hommes rencontrent des femmes indiennes et ils font leur vie ensemble, mais c’est assez rare. Ils ont plutôt tendance à les violer car « sont-elles vraiment humaines ? »… Pour éviter de gros débordements, l’intendant de la colonie, Jean Talon, demande au pouvoir royal de lui envoyer des femmes pour peupler la colonie de personnes civilisées, mais aussi pour calmer les ardeurs des messieurs… Tu vois un peu l’ambiance quoi. Louis XIV va alors envoyer celles que l’on appelle « les filles du Roy », on en dénombre plus de 700.
Les filles du Roy pour peupler les nouvelles terres
Petite précision, avant toute chose : il ne faut pas confondre les filles du Roy, avec les centaines de filles qui ont été envoyées à la même époque dans le cadre du bannissement. Il s’agissait de filles qui étaient enfermées à la Salpêtrières pour marginalité, mendicité, crimes, prostitution…
Au contraire, les filles du Roy sont bien sous tout rapport. Elles ont entre 15 et 30 ans et elles sont en bonne santé (comprendre : bonne à procréer), d’ailleurs il est précisé qu’elles doivent être : «point folles» ni «estropiées». Et à partir de 1668, on précise qu’on recherche de «jeunes villageoises n’ayant rien de rebutant à l’extérieur et assez robustes pour résister au climat et à la culture de la terre».
Les premières mères du Québec
Le 30 juin 1663, le bateau « Phoenix de Flessingue » accoste à Québec. Il accueille les trente-cinq premières filles du Roy. On peut notamment citer parmi elles, Joachine Lafleur, Mathurine Tibault ou encore Françoise Moisan…
Durant les premières années, de nombreuses filles issues de la petite noblesse, comme Anne-Elisabeth de Tarragon, se portent volontaires pour traverser l’Atlantique et découvrir le monde et ça va causer quelques petits soucis. Entre 1663 et 1668, des citadines se retrouvent au milieu des campagnes québecoises et elles sont tout simplement incapables de s’occuper des champs comme on l’espérait. C’est pourquoi, on les a finalement conduites vers les officiers du régiment de Carignan-Salières ou aux bourgeois et nobles de la Nouvelle-France.
Évidemment travailler la terre ça s’apprend, mais certaines n’ont jamais réussi à s’adapter à la vie en Nouvelle-France, d’autres sont devenus institutrices ou encore soignantes et d’autres sont rentrées en France : Eh oui, la première à rentrer au pays est Jeanne de Mérinne, une parisienne. Après avoir débarqué à Québec en 1665, elle signe un contrat de mariage avec François Bibeau, c’est plutôt bon signe. Mais elle l’annule au bout de quelques jours. Eh hop ,direction Dieppe ou la Rochelle. Une question subsiste, Jeanne de Mérinne et les autres filles retournées en France ont elles voulu rentrer chez elles ou le royaume a-t-il refusé de prendre en charge les frais après le contrat de mariage annulé et elles se sont retrouvées sans le sou donc obligées de rentrer ? Aucune idée, les registres ne disent rien.
A partir de 1668, pour éviter ce genre de désagrément, on prend différentes mesures pour éviter de se retrouver avec des meufs qui ne veulent pas avoir de la terre sous les ongles. En général, les jeunes filles sont des orphelines qui ont été confiées à différents couvents dans toute la moitié nord de la France, Poitou, Picardie, Orléanais, ou encore Champagne et Normandie mais rares sont les citadines de Paris. Les filles sélectionnées sont correctes et bien élevées et pour cause, elles ont toutes reçu une éducation religieuse plus ou moins tôt car l’État les a pris sous son aile, ou alors elles ont travaillé la terre avec leur famille dès leur plus tendre enfance.
Pour les filles volontaires pour peupler les colonies, les dépenses liées au transport, au logement et au voyage jusqu’à la Nouvelle-France sont prises en charge par le Roy et en plus, elles ont une dot de 50 livres, ça aide pour trouver un mari.
Le mariage des filles du Roy
L’idée est que le Roy, ou plutôt le royaume, prenne à sa charge toutes les dépenses liées aux filles, mais qu’il les protège aussi comme ferait un parent. Lorsqu’elles arrivent en Nouvelle-France, on ne les jette pas directement entre les griffes des hommes, non. On les place soit dans des communautés religieuses, soit chez des familles déjà installées afin qu’elles s’acclimatent. Ensuite, on organise des soirées, des bals ou des animations afin que les hommes et les femmes se rencontrent. Les hommes recherchent autant une épouse qu’une ouvrière agricole pour s’occuper des terres, de fait, ils préfèrent les femmes bien en chair. A l’époque, on considère la présence de gras comme signe de bonne santé, alors que les filles plus minces paraissent souffreteuses (c’est pourtant pas nécessairement le cas hein). Toutes les filles ayant la même dot (50 livres, des articles de ménage, un peu de vaisselle…), l’argent n’est pas un critère pour ces hommes. En revanche, lorsque les filles ne sont pas orphelines, elles peuvent hériter de biens plus tardivement, à la mort des ascendants. C’est un petit plus, mais les colons n’attendent pas franchement après ça.
Les mariages ont généralement lieu moins de six mois après l’arrivée des filles et en dix années seulement la population a triplé en Nouvelle-France et pour cause, sur les 770 filles du Roy, 621 ont signé un contrat de mariage et 525 ont convolé avec le premier et d’autres filles ont annulé le contrat de mariage pour en signer un autre avec un homme différent. Et elles ont presque toutes eu plusieurs enfants, c’est pourquoi on les appelle « les mères du Québec ». Ben ouais, les meufs ont tout (re)peuplé. On peut encore citer Jeanne Rossignol, une orpheline d’île de France qui, elle, s’est mariée quatre fois et a eu 14 enfants ! En 1729, on estime sa descendance à 84 membres.
Aussi bien, tu es un descendant direct de Jeanne Rossignol et tu ne le sais même pas, ou alors tu le sais et n’hésite pas à te manifester.
Les différentes vies des filles du Roy
Lorsqu’elles arrivent en Nouvelle-France, les jeunes filles sont placées chez les Ursulines, une communauté religieuse dont Marie de l’Incarnation tient les rênes. Elle nous laisse un témoignage important sur la vie des filles après leur mariage, on sait qu’en 1668, 78 filles du Roy sont arrivées sur les nouvelles terres et qu’elles n’étaient pas toutes d’origine française, comme Espérance du Rosaire, une Brésilienne baptisée à Lisbonne qui épouse quelques mois après son arrivée un certain Simon Longueville. Ou encore des Hollandaises et une Allemande qui fait parler d’elle dans toute la colonie. Anne-Marie Von Seck a 16 ans lorsqu’elle arrive en Nouvelle-France en 1673, après un premier mariage rapide, elle devient veuve. En deuxième noce, elle épouse un mec violent et alcoolo qu’elle cherche à fuir rapidement. Pour cela, elle connaît quelques soucis avec la justice, faut dire que la jeune fille se prostitue pour survivre. Je ne vous en dis pas plus, j’ai l’intention d’écrire un article à son propos.
Madeleine de Roybon d’Alonne mérite qu’on s’attarde un peu sur sa vie également. Après être arrivée à Québec, elle devient amie avec Robert Cavelier de la Salle. Elle s’installe avec lui, en 1678 sans se marier, au Fort Frontenac et elle investit toute sa fortune personnelle dans le commerce de fourrure de castor avec lui. Or, en 1687, elle est enlevée par les iroquois et retenue captive pendant une année. Lorsqu’elle est à nouveau libre, elle apprend que son ami Robert Cavelier de la Salle a été tué par ses propres hommes d’équipage l’année de sa captivité. Malgré des démarches auprès de la cour de Versailles, elle n’a aucun moyen de retrouver ni ses biens, ni ses investissements, ni ses terres… On raconte qu’elle est tombée dans la débauche avant de mourir dans la plus grande des misères à Montréal en 1715. La Nouvelle-France n’a pas toujours été synonyme de grande vie !
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