« Il était un personnage de fiction et il ne le savait pas. » (Traduction perso)
Quoi de commun entre Léonard « le mage » de Vinci, inventeur de la première bicyclette de l’histoire 500 ans avant son invention officielle ; un auteur de polars habitant à Mexico au début des années 90 et grand fan de basket-ball féminin ; un ancien de la CIA qui a vécu les dernières heures de la guerre du Vietnam avant l’entrée des communistes à Saïgon en 75 ; et un journaliste anarchiste sillonnant le Barcelone révolutionnaire des années 20 (toute ressemblance avec une situation actuelle étant bien-sûr fortuite) ? Pas grand chose on s’en doute, même si c’est dans les liens ténus entre les différents écheveaux spatio-temporels du roman que se trouve le fin mot de la sombre histoire de cette Américaine retrouvée dans un parking avec un rein en moins dans la pire ville-frontière du Mexique, la chaotique Ciudad Juarez.
« Il avait donc décidé de tuer son assassin. Un cas de règlement de comptes métaphysique. «
L’auteur ne craint pas d’allier les contraires et les improbables pour créer les contrastes les plus incongrus. Il ne faut pas craindre à son tour de se perdre dans les dédales des différents personnages, époques et situations qui se font lointainement écho. Pour s’y retrouver on peut prendre la main d’un vieux praticien de la prose du crime, José Daniel Fierro, qui se trouve être en train d’écrire non pas un, mais deux romans, dont les chapitres composent une bonne moitié de « La bicyclette de Léonard ». D’où des mises en abyme poilantes d’un auteur qui est en même temps son propre personnage (puisque l’un de ses romans recompose ses aventures rocambolesques à la frontière avec les Etats-Unis) et qui se pose des questions sur les limites de son action et son impuissance relative à écrire le roman qu’il veut. JDF étant par ailleurs : un fin connaisseur du genre policier, de Dashiell Hammet à Simenon en passant par Eugene Sue, Philip K. Dick ou Agatha Christie, et un idolâtre de Carlos Santana, le génial guitariste des 70s.
« Si le roman servait à quelque chose, c’était pour nous raconter comment étaient les autres que nous ne pouvions pas être. »
On comprend que le roman vaut plus par les nombreuses passions de Paco Ignacio Taibo II – pour les anars des 1920s et Léonard de Vinci (et Carlos Santana) (et la poésie espagnole, voire l’art cubain des explosifs) – qu’il met en scène avec une chaleur communicative, que par la résolution de l’énigme en elle-même. J’ai retrouvé avec bonheur et délectation les interjections les plus fleuries de l’argot mexicain dont mon environnement acoustique était imbibé quand j’étais ado (je sais, ce n’est pas le plus grand argument de vente pour qui le lira en français…).
« Ce ne seront pas n’importe quelles bottes, ce seront de fausses bottes texanes, c’est-à-dire mexicaines »
Le « roman feuilleton » des syndicalistes révolutionnaires tout comme les aventures à la Apocalypse Now qui ponctuent le roman peuvent passionner ; mais aussi lasser il faut bien le dire, par les coupures, longueurs et ramifications qu’ils introduisent dans le récit, créant des sous-, para- et méta-récits. Paco m’a parfois perdue, je l’avoue, mais j’ai toujours retrouvé cette lecture avec sympathie.
« Le journalisme c’est la gloire, Angelito, tout le reste n’est que fariboles. Même quand l’anarchisme adviendra je n’arrêterai pas : alors j’écrirai sur les taureaux, le théâtre, la danse, les prisons, je ferai des feuilletons sur comment était cette merde de Barcelone, pour ceux qui n’ont pas de mémoire. »
Je ne sais pas ce que c’est que le « néo-policier latino-américain » dont l’auteur est paraît-il l’inventeur, mais ici on enfourche un vélo narratif qui zigzague entre plusieurs directions différentes, c’est foutraque et un peu braque, c’est drôle et plein d’auto-dérision, c’est grinçant et parfois scabreux, c’est érudit mais alternatif, ça joue entre plusieurs niveaux de réalités… Ce n’est pas sage ni classique, plutôt baroque voire grotesque. Welcome to Mexico amigos !« Pardonnez-moi, je ne vous ai pas entendu, répondra le tueur, victime d’une attaque d’éducation mexicaine traditionnelle. »
Lu en VO : « La bicicleta de Leonardo » de Paco Ignacio Taibo II, ed. Planeta, 1994, 364 p.
En VF : « La bicyclette de Léonard », traduit par Anne Masè, Rivages Noir, 2016, 480 p.
6e participation à mon challenge latino. INFO : il n’est jamais trop tard pour y participer, que vous ayez un blog ou pas : vous pouvez m’indiquer vos participations en commentaire sur cette page, je ferai un point à la fin de l’année. Publicités