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(notes sur la création) César Vallejo, "Poésie nouvelle"

Par Florence Trocmé

EuropeLa revue Europe publie dans son numéro 1063-1064 un fort dossier sur le poète péruvien César Vallejo ( 1892-1938).
POÉSIE NOUVELLE
On a qualifié de poésie nouvelle des vers dont le lexique se compose des mots « cinéma, moteur, chevaux de force, avion, radio, jazz-band, télégraphie sans fil », et en général de tous les termes de l'industrie et des sciences contemporaines. Peu importe que le lexique corresponde ou non à une sensibilité authentiquement neuve. Tout ce qui compte, ce sont les mots.
On se gardera pourtant de perdre de vue qu'il ne s'agit pas là de poésie nouvelle, ou ancienne, ou de quoi que ce soit d'autre. Les matériaux artistiques que nous offre la vie moderne doivent être assimilés par l'esprit et convertis en sensibilité. La TSF, par exemple, n'est pas tant destinée à nous faire dire « télégraphie sans fil » qu'à susciter de nouveaux accords du système nerveux, de profondes acuités sentimentales, amplifiant notre voyance et notre compréhension et donnant une densité supérieure à l'amour. L'inquiétude alors s'accroît et s'exaspère et le souffle de la vie s'avive.
Telle est la vraie culture porteuse de progrès ; tel est son seul sens esthétique, qui ne consiste pas à se remplir la bouche de mots flambant neufs. Souvent les vocables nouveaux peuvent faire défaut. Souvent un poème ne dit pas « cinéma » et possède néanmoins l'émotion cinématique, de manière obscure et tacite, mais effective et humaine. Telle est la vraie poésie nouvelle.
Parfois, le poète parvient tout juste à combiner habilement les nouveaux matériaux artistiques et obtient ainsi une image ou un rapport plus ou moins beau et parfait II ne s'agit pas alors de poésie nouvelle à base de mots nouveaux comme dans le cas précédent, mais d'une poésie fondée sur de nouvelles métaphores. Mais dans ce cas aussi il y a erreur. Dans la poésie véritablement nouvelle les images ou les rapports nouveaux peuvent être absents — ils relèvent de l'ingéniosité et non du génie —, mais au sein du poème le créateur savoure ou endure une vie où les nouvelles relations et les rythmes des choses sont devenus sang, cellules, un élément en somme qui a été vitalement incorporé dans la sensibilité.
La poésie nouvelle à base de paroles ou de métaphores nouvelles se distingue par sa pédanterie de nouveauté, et par conséquent par sa complication et son baroquisme. La poésie nouvelle fondée sur une sensibilité nouvelle est au contraire simple et humaine — à première vue, elle pourrait sembler ancienne ou bien elle n'attire pas l'attention sur le fait qu'elle est ou non moderne.
Il importe grandement de prendre note de ces différences.
César Vallejo, « Proses brèves et aphorismes » in revue Europe, n°1063-1064, p. 32. Traduction de l’espagnol de Jean-Baptiste Para.
1. Texte publié initialement dans Favorables Paris Poema, n° 1. Cette revue en langue espagnole fut fondée à Paris par César Vallejo et Juan Larrea et ne fit paraître que deux numéros (juillet et octobre 1926)


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