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Duane Hanson et l’hyperréalisme

Publié le 05 novembre 2017 par Thierry Grizard @Artefields

Duane Hanson


Duane Hanson, sculpture, art contemporain, hyperréalisme, monographie | Publié par Thierry Grizard le 5 novembre 2017. 

Sculpture et moulage

Duane Hanson (1925/1996) a débuté sa carrière sous l’influence du Pop Art, de Robert Rauschenberg et de George Segal. Mais alors que Segal crée des êtres « neutres » à partir de moulage sur modèle vivant, Hanson adopte dans le champ de la sculpture la ligne conductrice des peintres hyperréalistes et par conséquent de l’illusionnisme.

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© Duane Hanson.

Il en résulte que le travail de Hanson s’éloigne radicalement du travail de Segal mais également de la sculpture classique, quoiqu’on ait déjà reproché, en 1877, à Rodin d’avoir utilisé pour  “L’âge d’airain” un moulage d’après modèle vivant. La technique n’a donc rien de révolutionnaire ! Dans tous les cas ce procédé implique qu’il n’y a plus de travail de la matière dont l’artiste démiurgique extrait une forme. La sculpture est issue de l’empreinte positive en plâtre d’un négatif celui du moulage en résine et polyester, ce que l’on désigné sous le terme de « lifecasting ». L’intervention sur le volume est donc minimale, purement technique. Elle consiste essentiellement dans une sorte de direction d’acteur. L’intervention de l’artiste se résume par conséquent à peindre/colorier l’empreinte de la manière la plus réaliste possible en parachevant le tout avec des accessoires issus du commerce.

D’ailleurs, Duane Hanson aurait pu opter pour des accessoires et vêtements modelés, mais précisément dans sa volonté d’illusionnisme parfait et son rejet de la subjectivité il préféra recourir à des éléments manufacturés. On est dans le registre de la reproduction mimétique. Seuls les expressions et la mise en situation révèlent une intention « artistique ». Nous sommes davantage dans une installation que dans la sculpture.

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© Duane Hanson.

Duane Hanson et Ron Mueck

Duane Hanson et Ron Mueck à plusieurs décennies d’écart font ils la même chose ?

A première vue oui, ils transposent du réel dans des lieux inhabituels.

Hanson du social, Mueck de l’existentiel tout en s’attachant l’un et l’autre à une classe sociale. Hanson aborde principalement les exclus et les franges défavorisées de la population, Mueck représente également les classes moyennes. Cependant le propos de ce dernier est avant tout moral ou philosophique, la déréliction est son premier intérêt.

En outre, il ne faut pas oublier un facteur essentiel de l’art de Ron Mueck, les changements d’échelles, qui introduisent un facteur de valeur physique dans le rapport au spectateur, et une dimension ontologique jamais dénuée d’ironie.

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© Ron Mueck. “Young Couple”, 2013, mixed media, Yageo Foundation Collection, Taiwan. Courtesy Hauser & Wirth. Photo: Patrick Gries.

Chez Hanson on trouve pourtant dans les expressions de ses personnages le même abattement, la même fatigue. Toutefois l’optimisme des années soixante et l’impression d’appartenir à une nation et un corps social restent présents. Ces laissés pour compte n’en affichent pas moins la certitude d’appartenir à un pays, une nation, un ensemble de valeurs. Ils subissent mais adhèrent. Le propos de Duane Hanson est évidemment de dénoncer le caractère fallacieux de ce système.

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© Duane Hanson.

Chez Mueck la solitude est complète, ses personnages affrontent les grandes questions seuls, sans certitude collective qui puissent les rassurer en procurant un sens à l’aliénation sociale et consumériste.

Le Pop Art n’est pas révolutionnaire

Le Pop Art qui dominait à l’époque de Hanson et dont il faisait partie se caractérise par une critique optimiste de la société de consommation de masse. Il en reprend les codes, les érige en icônes ironiques. La critique par réappropriation et détournement attaque le conformisme bourgeois et celui de la classe moyenne avec une énergie positive reposant sur l’idée que la profusion et le progrès ne cesseront jamais.

Le « post-modernisme » repose quant à lui sur l’éclatement des systèmes de valeur et la conscience claire que le progrès n’est pas nécessairement un vecteur positif. Les mythes collectifs se sont effondrés, demeure la fragmentation, y compris du sujet qui se vit comme un nœud de flux contradictoires, ce que certains ont désigné comme le « dividu ». Une « personae » dépourvue de centralité, aux pulsions sociales et individuelles innombrables, or ce joyeux maelstrom conduit, quand il ne peut se satisfaire, à la déréliction. C’est de là que proviennent la majorité des saynètes du sculpteur australien.

Duane Hanson critique, Ron Mueck constate, observe, dissèque.

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© Duane Hanson.

De l’hyperréalisme à l’illusion presque parfaite

L’hyperréalisme de Duane Hanson, qui de nos jours parait parfois imparfait, pas totalement mimétique, relève, en réalité, davantage d’une « sculpture » iconique et descriptive que de l’illusionnisme. C’est une rupture de milieu qu’opèrent ces intrusions hyperréalistes dans des lieux spécifiques des élites et de la bourgeoisie.

L’hyperréalisme en peinture ne veut pas être illusionniste, dans la reproduction minutieuse du réel il cherche un effet de décalage par l’excès de détails, de saturations des couleurs. On en revient aux signes et leurs icônes. La peinture hyperréaliste est précisément hyper réelle, elle brille, elle est trop plane et parfaite pour être trompeuse.

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© Duane Hanson.

La sculpture hyperréaliste de Hanson procède également par l’excès, les vêtements sont iconiques d’une catégorie sociale, les détails épidermiques sont poussés à l’extrême, les attitudes représentent des actes symptomatiques, voire caricaturaux. La seule chose qui soit réellement naturelle dans ces sculptures ce sont les poses obtenues par le truchement de moulages sur des modèles. Quoique Duane Hanson est fait évoluer sa technique en passant de moulage en plâtre complets à des fragments d’empreintes, jambes, visages, mains qui sont assemblées pour finalement aboutir non pas au portrait d’un individu mais à la figuration d’une typologie sociale, les ouvriers, les policiers, les gens du spectacle et ainsi de suite.

Moulages et subjectivité

Duane Hanson proclamait fréquemment qu’il rejetait l’idiosyncrasie artistique, l’expression bourgeoise de la subjectivité du créateur. A l’instar du pop art, de l’art conceptuel et du minimalisme, Hanson se situe dans la lignée de l’aversion duchampienne pour l’art rétinien et l’émotion esthétique. Les sculptures faites d’après moulage sans intervention créatrice et dans le souci de reproduction fidèle des détails vestimentaires et épidermiques, relèvent de cette démarche. Ce ne sont pas des sculptures mais des ready made. Une sorte de reproduction photo réaliste en volume. L’idée est bien de prélever du réel avec le minimum d’intervention pour l’exposer, le rendre visible pour ce qu’il est et non comme une métaphore artistique. De ce point de vue l’existentialisme des sculptures photo réalistes de Mueck ou l’expressionnisme de Sam Jinks sont diamétralement opposées au travail de Duane Hanson. Il n’y a de continuité que formelle, les intentions divergent du tout au tout.

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© Duane Hanson.

Supermarket Woman

Supermarket Lady (1969) une des sculptures les plus connues de Hanson est révélatrice sur bien des points. La femme aux bigoudis et à la dentition dévastée pénètre dans l’espace de l’exposition dans une indifférence totale de l’environnement. Elle est en action et poursuit sa « vie » sans la moindre interaction. C’est une rupture de réalité, une disjonction voire une collision. C’est bien entendu ce que souhaite l’artiste mettre en confrontation des « milieux » aussi bien au sens social, politique que physique et temporel. Nous ne sommes pas dans l’émotionnel à l’inverse de Ron Mueck. C’est une sorte de ready made politico social, un surgissement de l’animé dans le champ de l’inanimé.

Le paradoxe est évidemment que le vivant est simulé par de la matière inerte, ce qui est vivant et prend pied dans une autre dimension de la réalité, ce n’est rien d’autre que l’action. Ces simulacres paraissent vivants pas uniquement en raison de leur réalisme mais parce qu’ils sont en train d’agir. La Supermarket Lady surgit comme une trombe de gouaille et d’assurance « vulgaire » dans la quiétude du monde de l’art. Cette sculpture est un happening sous forme de ready made, ce n’est pas une peinture sociale c’est un fragment de social brut, ce n’est pas un portrait psychologique mais une typologie sociologique, ce n’est pas une métaphore mais une description visant à la neutralité, ce n’est pas émotionnel mais en action.

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© Duane Hanson. Supermarket Lady.

Action et haeccéités

Les sculptures de Duane Hanson sont donc toujours prises en train d’agir y compris quand le personnage fume tout simplement une cigarette durant sa pause. Non seulement le sculpteur américain transpose des faits sociaux dans le musée ou les galeries, il les fait pénétrer là en action, totalement indifférents au regardeur.

L’intention du sculpteur américain était de provoquer le spectateur, ce qui est particulièrement évident à ses débuts quand il mettait en scène des événements relatifs à la guerre du Vietnam ou les émeutes raciales des années 70.

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© Duane Hanson.

Mais la provocation en vue de susciter un choc et une prise de conscience n’était pas le seul but de Duane Hanson.

Dans la période postérieure il abandonne l’idée de la « performance » par délégation, d’une sculpture proche dans l’esprit des « happening » pour rechercher une interaction plus subtile avec le public. En disposant ses pièces à l’image d’individus réellement présents dans l’espace d’exposition Duane Hanson cherche à surprendre, tout en essayant de susciter une empathie, une interaction réelle dans le parcours. C’est ainsi qu’un “Security Guard” est appuyé nonchalamment contre un mur, que “Man with Handtruck” pousse son diable parmi les visiteurs, ou que “Queenie II” effectue le ménage dans l’enceinte du musée ou la galerie. Il y a bien un effet d’effraction mais aussi une forme d’intersubjectivité.

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© Duane Hanson.

Chez Mueck, par exemple, les œuvres se présentent plutôt comme des instants, des haeccéités incongrûment transplantées et offertes au voyeurisme du visiteur.

Chez Hanson l’effet obtenu est plutôt celui de la surprise, chez l’australien nous sommes dans l’intrusion, on pénètre dans l’intimité de personnages qui ne nous voient pas, qui ne se savent pas observés. Alors que chez Hanson les individus se moquent éperdument du regardeur et poursuivent leurs chemins.

Cette différence assez fondamentale se rapporte aussi au cinéma de l’époque dont ces sculptures, aussi bien pour Mueck que Hanson, paraissent échappées.

Le cinéma de Duane Hanson est celui du Cinémascope de Don Siegel ou Zabriskie Point d’Antonioni, pour Mueck nous sommes plutôt dans Lynch ou Wenders, on passe d’un cinéma d’action à un cinéma d’ambiance. Les systèmes narratifs sont néanmoins assez identiques. Ils relèvent d’une forme de montage cinématographique, la séquence de l’exposition est dynamitée par un plan de coupe brutal, une ellipse qui fait surgir la surprise en introduisant quelque chose d’étranger au lieu.

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© Duane Hanson.

Jeff Koons, Maurizio Cattalan et Duane Hanson

Jeff Koons est davantage que Ron Mueck le véritable héritier de Duane Hanson. On pourrait y inclure Cattalan. Ce n’est évidemment pas un hasard, l’un comme l’autre sont des artistes post Pop Art dont le moteur essentiel est l’ironie et la subversion. Car si le Pop Art n’est pas révolutionnaire il est subversif et c’est, au final, ce qui définit le mieux l’œuvre de Hanson.

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© Duane Hanson.

Biographie

Duane Hanson est né en 1925 à Alexandria, dans une famille modeste de fermiers du Minnesota. Il poursuit des études artistiques de 1944 à 1951, il sera diplômé́ de l’Académie d’art de Cranbrook où il enseignera. En 1952 il expose seul à la Wilton Gallery dans le Connecticut. Dans les années 50, Duane Hanson s’établit pour quelques années en Allemagne de l’Ouest où il enseigne et expose. Durant ce séjour il découvrira par l’entremise d’un artiste allemand, George Grygo, l’emploi dans les moulages de la résine de polyester et la fibre de verre. Il retourne en 1961 aux Etats-Unis. Il réalise notamment « War » dans ces années au moyen de moulages en résine et polyester, une sculpture sous forme d’installation qui constitue un véritable réquisitoire politique. Sa première exposition personnelle à New York en 1968 provoque le scandale en raison du réalisme extrême et de la violence des pièces exposées qui évoquent la guerre du Vietnam, les émeutes raciales, les accidents de la route, etc.

A partir de 1970 Duane Hanson s’engagera dans une production moins polémique quoique toujours subversive.

Il meurt d’un cancer le 6 janvier 1996

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© Duane Hanson.

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