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Carine Fernandez : Mille ans après la guerre

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

Mille ans après la guerre de Carine Fernandez      4/5 (28-10-2017) 

Mille ans après la guerre (240 pages) est disponible depuis le 7 septembre 2017  aux  Editions Les escales (collection : Domaine français).

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L’histoire (éditeur) :

Un autre regard sur la guerre d'Espagne.
Miguel est un vieux solitaire, veuf depuis des années, qui n'apprécie que la compagnie de son chien Ramon. Il vit dans une cité ouvrière de la région de Tolède. Un matin, il reçoit une lettre de sa sœur Nuria. Elle a perdu son époux et compte venir vivre auprès de lui. Le vieux est pris de panique : sa sœur chez lui, c'en est fini de sa tranquillité, de son bonheur innocent avec Ramon. Il faut fuir ! Son chien sur les talons, le vieux prend un autocar en direction de l'Estrémadure, où il n'était jamais retourné depuis la guerre civile. 
Montepalomas, le village de son enfance, est enseveli sous les eaux d'un barrage. Pourtant du lac les souvenirs remonteront. Des pans entiers de sa jeunesse belle et terrible, quand on l'appelait Medianoche (" Minuit ") et que vivait encore son frère jumeau, Mediodia (" Midi "). Un frère assassiné par les Franquistes et dont le visage, mille ans après la guerre, hante toujours Miguel. Mais peut-être est-il temps de se libérer du passé... 

Mon avis :

Après la lecture du dernier roman d’Isabelle Alonso ( Je peux me passer de l’aube), je continue ma progression en terre espagnole  aux mains des Franquistes.

Mille ans après la guerre est un roman très bien cadencé qui alterne le présent et le passé à la manière d’une ballade, à l’image de son protagoniste Miguel Carabajal, octogénaire paisible mais profondément marqué par la guerre civile espagnole.

« Manuel savait seulement que son père avait fait de la prison. Il en avait honte devant ses copains, comme si ç’avait été du droit commun. Pire. Fils de rouge , d’ancien taulard, l’ignominie ! L’insultant rojillo, « petit rouge », avec lequel on désignait les républicains , un terme infamant, comme une marque au fer rouge. Devenu adolescent, Manuel n’en apprit pas davantage. Et puis de quoi son père aurait-il bien pu lui parler ? il n’avait pas de batailles illustres à raconter, pas de traversée de l’Ebre, pas de défense de Madrid, il n’était pas né pour l’épopée ou même le quart d’heure héroïque, seulement la très banale atrocité quotidienne. La grise routine des camps. 

Fallait-il expliquer qu’on l’avait bouclé dix longue années pour  avoir fait l’idiot dans la sacristie ? Et qu’il n’était même pas coupable de ça ! Le tribunal ne l’a jamais cru, allez, tu ferais mieux d’avouer, on a des témoins ! quand il jurait qu’il n’avait pas pris part au saccage.

C’était en août 36, juste après la proclamation de l’insurrection  nationaliste dans l’enclave marocaine de Melilla par le général Francisco Franco Bahamonde. Ils arrivaient ! » Page 167-168

En apprenant que sa sœur (veuve depuis peu) a décidé de venir s’installer chez lui, celui qu’on nomme Medianoche depuis son enfance choisit de s’enfuir avec son veux cabot Ramon et de retrouver les terres de son enfance. Sorte de pèlerinage inconscient, son retour vers son passé est pour lui l’occasion de faire la paix avec son jumeau Mediodia (exécuté  à 17 ans), avec ce sentiment de l’avoir abandonné aux mains des bourreaux, avec sa culpabilité, son honneur et l’idée d’avoir toujours été un faible. C’est également l’occasion pour l’auteure de nous conter une partie de l’histoire espagnole  avec autant de dureté que d’humanité.

« Enfin, il a retrouvé le silence à peine troublé par le chant des grillons. Environné par les arbres baigné dans  les odeurs de terre et de nuit, il se replonge dans le temps originel. Maintenant, en ce moment. Il sait qu’avec l’arrivée de sa sœur, le temps s’est remis en marche, le temps de la vieillesse qui le conduira sans surprise à la mort, tandis qu’il a vécu avec Ramon, ces dernières années dans une heureuse intemporalité, dans l’éternel présent, le temps des grandes vacances ou de l’amour. Et voilà qu’il est pris au piège. » Page 22-23

Je dois dire que j’ai été bluffé par le style de Carine Fernandez qui manie les mots avec beaucoup de sensibilité. Elle n’épargne pas le lecteur en décrivant certaines horreurs de la guerre espagnole et  la barbarie du système nationaliste de Franco. C’est parfois très dérangeant. Néanmoins, elle réussit avec beaucoup de poésie à rétablir la balance des émotions en appuyant son récit avant tout sur l’état d’esprit  et le pèlerinage de Miguel, dit « Médianoche », qui tente de se libérer de son passé, de la honte d’avoir survécu à son frère, de n’avoir jamais tenté de s’échapper et d’avoir fait preuve d’héroïsme (contrairement à tant d’autres). On suit son évolution avec beaucoup d’émotion.

« La haine et la vengeance érigées en système. Pour chaque nationaliste tué, Queipo de Llano promettait dix républicains fusillés sans jugement. (…)

La terreur était l’arme principale des phalangistes en deux mois, elle dévasta tut. Un vent de folie, plus brûlant que les tourbillons de sables venus d’Afrique, balaya l’Espagne entière sur son passage. La confusion était indescriptible. Dans les régions restées républicaines, on vit des ennemis partout. Une psychose qui se propageait comme un incendie de forêt ! Les gens devenaient fou !

Pas un village, pas une maison ne fut épargnée. L’air incandescent soufflait de la peur et la peur cille chacun sait est fille du diable. » Page 169

C’est par touches, sans véritable chronologie, que son histoire (et celle de son pays) est dévoilé. On découvre alors doucement ce qu’il cache au fond de lui depuis plus de 60 ans, ses blessures et ses moments forts d’amitié et de renonciations . 

Mille ans après la guerre est un roman fort, entre lumière (art, amour, amitié, humanité…) et ombres (tortures, camps, suspicion permanente, exécutions…), dont j’ai savouré le lyrisme et la franchise, le mélange d’Historique et de romanesque qui tissent un ensemble cohérent, puissant et touchant.

« Le vent secoue des chuchotements, soulève des soupirs qui font vibrer l’atmosphère. La montagne est animal mais l’air du soir est tendre comme un grand souffle d’homme. » Page 51

« Franco veilla à ce que la défaite dure. Une défaite en continu, année après année, avec son lot d’humiliations et de persécutions, mais surtout ses mensonges, sa falsification du réel. On était en 1954 et il  avait treize ans que les vaincus étaient violés par l’histoire. » Page 176


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