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(Note de lecture) Pierre Parlant, "Ma durée Pontormo", par Camille Brantes

Par Florence Trocmé


La contemplation de Parlant


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Ma durée Pontormo est un livre ambitieux (adjectif préférable à celui d'inclassable) et cette ambition apparaît d’emblée sur le présentoir de la librairie. La maquette bicolore caractéristique des Éditions Nous, ce vert Véronèse et ce jaune mimosa, son épaisseur de 336 pages et l’embossage discret de la couverture : ce livre se voit de loin. Il se lit aussi de près.

Plusieurs fois une phrase ou un mot m’ont saisi.
Au début, naïvement, je crus devoir les recopier.
Or il me fallut vite renoncer, du moins provisoirement.
Dès que je prenais mon stylo, attrapais un bout de papier, dès que je me détournais, ne fût-ce qu’un instant, de la phrase, du paragraphe ou de la page lue, d’un mot précis ou d’un petit dessin, quelque chose dont je ne savais rien menaçait de disparaître d’une manière irréversible, et me le signifiait. Revenir au texte, lâcher mon attirail de scribe, ralentir ma façon, caler mes yeux sur l’enchaînement des mots en prêtant mieux l’oreille, il le fallait aussitôt.

A partir de l’œuvre et du journal du peintre florentin Jacopo Carruci dit Le Pontormo (1494-1557), Pierre Parlant semble poursuivre l’exploration d’une forme qu’il nomme autobiographie d’un autre, déjà initiée avec Les courtes habitudes (Nous, 2014). C’est un mécano subtil et ample qu’il propose. Un assemblage donc, des séquences de voyage sur les traces du peintre, des impressions sur ses oeuvres et de leurs journaux entremêlés. Qui suis-je en train de lire ? et de quel moment de vie suis-je le témoin ? sont les interrogations qui structurent ce long poème.
Il y a bien des balises, des points de repère. La contemplation en est le premier. Présence du visiteur dans le musée, du lecteur de catalogue, Pierre Parlant révèle un art du voir, une manière de regarder. Ici, l’oeil est à l’initiale. Les yeux se sont refermés et le contact sensible avec l’oeuvre s’est arrêté et c’est en tant que poète (voilà l’auteur classé) qu’il poursuit l’aventure par d’autres voies, celles de la lecture, du voyage et de l’écriture. Symbole du désir d’Italie, le Diario y a ici toute sa place ; et c’est en contraste avec sa brièveté (vingt pages à peine), son caractère insolite, que Ma durée Pontormo livre son usage premier : l’étendue temporelle d’écriture.
Expérience du temps, structure fragmentée, quelques photographies, polices variées, çà et là des notes de bas de page, beaucoup d’astérismes, une partition, Ma durée Pontormo s’étend, se condense, s'aplanit mais jamais se ramasse. Journal d’un journal, d’un voyage, d’une oeuvre, d’une rencontre, le poème s’essaie, avec générosité, à refléter le temps, celle d’une vie, celle de la création.
La façon avec laquelle Pierre Parlant s’emploie à composer son Pontormo relève de la largesse, du don à profusion ; et dans cette forme spectaculaire de la dépense, la copia verborum, dans ce rituel littéraire très ancien, il réactualise, avec un certain maniérisme, la poétique de l’essai.
Sa vie durant, par conséquent, le peintre fit ce qu’il avait à faire. Ce pour quoi nul ne pouvait le remplacer et qui prend un temps fou. Il ratifia sans fausse honte le déroulé versicolore d’épisodes impensables sans lui, jamais vus, et par chacun reconnaissables.
Je ne connaissais pas Pontormo et j’avoue avoir pour la Renaissance italienne un certain désintérêt. Disons plutôt une désaffection. Je ne sais pas si la lecture du livre de Pierre Parlant servira d’expiation personnelle. Mea culpa, ce livre est beau.
Camille Brantes

Pierre Parlant, Ma durée Pontormo, Editions Nous, Collection VIA, 336 pages, 24€
Premières pages du livre.
Pierre Parlant est né en 1957. Agrégé de philosophie, Il est écrivain et poète. Il a fondé et dirigé la revue littéraire Hiems jusqu’à son dernier numéro en 2003. Il a publié des textes de création, des essais critiques, des articles dans de nombreuses revues. On peut citer en particulier Qarantina (Cipm 2016), Le rapport signal-bruit (Le Bleu du ciel, 2006) et  Prenez le temps d’aller vite (L’Attente, 2004).


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