Partager la publication "[Critique] A BEAUTIFUL DAY"
Titre original : You Were Never Really Here
Note:
Origine : Grande-Bretagne/États-Unis/France
Réalisatrice : Lynne Ramsay
Distribution : Joaquin Phoenix, Ekaterina Samsonov, Alessandro Nivola, Alex Manette, John Doman, Judith Roberts…
Genre : Thriller/Drame/Adaptation
Date de sortie : 8 novembre 2017
Le Pitch :
Joe, un vétéran traumatisé, taciturne et violent, exécute froidement des contrats pour le compte de différents clients. Armé de son marteau, il est réputé pour son efficacité et sa froideur. Un jour, la fille d’un sénateur disparaît et c’est à lui qu’on fait appel. Rapidement, alors qu’il retrouve la gamine, les choses dégénèrent salement…
La Critique de A Beautiful Day :
Prix du scénario pour Lynne Ramsay et Prix d’interprétation masculine pour Joaquin Phoenix. Rien que ça ! Le jury de l’édition 2017 du Festival de Cannes n’a pas manqué de souligner à quel point A Beautiful Day l’avait favorablement marqué. Un retour en grâce sur la Croisette pour Lynne Ramsay qui était repartie bredouille en 2011 alors qu’elle présentait son précédent long-métrage, le glaçant We Need To Talk About Kevin.
Au fond, ce plébiscite cannois n’a rien d’étonnant quand on voit le film. Car A Beautiful Day, avec son postulat qui pourrait laisser entendre qu’il s’agit d’un vigilante movie dans la plus pure tradition du genre, embrasse beaucoup des canons chers aux festivals un peu élitistes comme le Festival de Cannes. Non pas que les prix ne sont pas mérités, car ils le sont, en particulier concernant Joaquin Phoenix, mais force est aussi de voir en A Beautiful Day une tentative un poil prétentieuse de justement contourner les codes du vigilante en loupant au final un peu le coche…
Le justicier au marteau
Tous les éléments du vigilante sont là : un type au bout du rouleau qui a pris les armes pour redresser des torts dans une ville tentaculaire où Charles Bronson fit jadis le ménage, des victimes innocentes, d’ignobles salopards ayant infiltré toutes les couches du pouvoir… Mais non, Lynne Ramsay semble penser qu’elle vaut mieux que cela et s’échine à s’approprier le récit de base (celui de la nouvelle de Jonathan Ames) pour justifier une démarche très auteurisante. A Beautiful Day est ainsi traversé de séquences typiques d’un certain cinéma un poil nombriliste. Ramsay arrête l’action, elle évite de montrer les exécutions sommaires auxquelles se livre le personnage principal, n’a que très peu souvent recours à une violence frontale et préfère illustrer à grands renforts d’effets là encore très attendus les tourments d’un Joaquin Phoenix dévoué dans un rôle qui, si il rappelle ceux que tenaient George C. Scott dans Hardcore (la vraie référence du film) et Robert De Niro dans Taxi Driver, est lui aussi sans cesse bridé pour bien nous rappeler qu’ici, on est pas non plus chez Charles Bronson et son Justicier dans la ville. Sans cesse Lynne Ramsay aime à esquiver les lieux communs du genre pour ne pas justement livrer un film de genre. Elle surligne, revient en arrière, tourne en rond, s’arrête, n’en montre pas trop et s’arrête à nouveau avant de repartir. Parfois, elle se retrouve bloquée, alors elle convoque les ressorts du vigilante mais revient ensuite à quelque chose de plus flou et de moins frontal. Ce qui est plutôt frustrant au final tant on a l’impression quasi-constante que le film n’assume pas ce qu’il aurait pu être pour devenir une espèce d’œuvre qui a constamment le cul entre deux chaises.
Bien sûr, Lynne Ramsay n’avait pas eu le même problème avec le remarquable We Need To Talk About Kevin, qui pour le coup, ne semblait pas s’interdire quoi que ce soit dans le seul but de ressembler à ce qui s’apparente au final à une tentative maladroite et trop calculée de faire du cinéma qui à l’arrivée sonne avec prétention.
On pige facilement ce que Ramsay a voulu nous dire et on comprend aussi qu’elle n’a pas souhaité faire de son personnage central un héros au sens noble. Tout ça est clair malgré l’insistance un peu lourdingue avec laquelle la réalisatrice cherche à nous convaincre du bien fondé de sa démarche. Car finalement, A Beautiful Day n’est pas si complexe que ça. Et c’est justement parce qu’il cherche absolument à sonner comme tel, que son ambiguïté sous-jacente et son originalité se diluent.
Joaquin joue du marteau
Heureusement, Joaquin Phoenix est là. De tous les plans ou presque, solide, massif, ténébreux et taiseux, il incarne les enjeux de l’histoire et parvient à la fois à habiter les élans de violence sèche que Lynne Ramsay contourne, mais aussi les démons qui habitent son personnage et qui, à l’écran, s’expriment dans de brefs mais récurrents flash backs un peu trop nébuleux pour être vraiment efficaces. Bouleversant et impressionnant, Phoenix n’a pas volé son prix cannois. Son interprétation est parfaite de bout en bout et si, on y revient, il est difficile de ne pas penser à George C. Scott et à Robert De Niro, il faut aussi reconnaître au comédien d’avoir réussi à imposer sa propre voix. Seul ou presque à soutenir la baraque, il tire constamment le long-métrage vers le haut. Jusqu’au dernier plan. La marque des grands. Grâce à lui, et, il faut tout de même le reconnaître, à une mise en scène parcourue de belles idées et porté par une éloquence qui fait parfois mouche, A Beautiful Day parvient à toucher à plusieurs reprises. Parcouru de moments de grâce, d’éclairs de brutalité et habité d’une détresse, d’une urgence et d’une tristesse insondable, il aurait pu s’apparenter à un uppercut dévastateur et mettre K.O. pour le compte. En l’état, ce n’est pas vraiment le cas mais ses qualités compensent largement ses défauts.
En Bref…
On se prend à rêver au film que A Beautiful Day aurait pu être si Lynne Ramsay n’avait pas absolument cherché à échapper aux codes d’un cinéma de genre auquel elle n’adhère visiblement pas, préférant donner dans l’expérimental pédant au point d’embrasser des clichés un peu grossiers propres au cinéma indépendant. Reste que Joaquin Phoenix est monumental et que parfois, et bien ça fait mal. Très mal.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : SND