Ce film a eu la Palme d'or de Cannes. En vous disant cela, je vous livre tout de go la principale raison pour laquelle vous pourriez être amené à voir le film de Ruben Östlund : essayer de comprendre quelle mouche a pu piquer en mai le jury présidé par Almodovar, pour décerner le prix suprême à cet étrange et ambivalent film-installation de près de 2h30.
Il faudra vous faire votre propre opinion, car j’avoue que je ne sais pas si j'ai aimé ou pas. Non, The Square ne m'a pas bouleversé, mais oui, il m'a fasciné. Il pêche peut-être par excès d'intelligence ou de cérébralité. Je veux dire : on comprend dés les premieres images que Ruben Östlund veut poser des questions complexes. Que peut-on exposer dans un musée d'art contemporain de façon légitime, honnête ou cynique ? Jusqu'où les 'artistes' peuvent-ils pousser leur liberté d'expression pour provoquer des réactions ou pour boucler la morale établie ?Il apparaît assez vite que le cinéaste développe un regard lucide, sardonique, caustique, sur le monde de l'art contemporain. Ces installations qui semblent parfois si ridicules aux yeux du grand public, mais qui si prisées par certaines élites, ne serait-ce qu'en tant qu'investissements de fortune.Mais au travers de moult ajouts narratifs, en propulsant notre 'héros' à l'extérieur de son cadre représentatif, en le confrontant à la rue et à la réalité sociale, en exposant son "art opératoire' dans le domaine amoureux ou encore en dépeignant avec insistance son rôle de père de famille divorcé et sa relation avec ses deux petites filles, Ruben Östlund petit à petit propose une réflexion plus globale sur la société occidentale, ses faux-semblants et ses contradictions. Le réalisateur prend son temps, le film étire souvent ses séquences qu'elles soient banales ou spectaculaires, à tel point que souvent on se demande où il veut en venir. L'ennui n'est jamais très loin, mais ce qui nous sauve, c'est que surgissent ici ou là de véritables morceaux de bravoure. Par exemple, bien sûr, la fameuse séquence du banquet et de l'homme singe; la dispute post-coïtale et burlesque entre Elisabeth Moss et Claes Bang; ou encore les interventions des créatifs de l'agence de communication qui ne vivent que par le buzz, un peu barjo mais tellement réalistes!Jusqu'où peut aller la quête de la publicité, jusqu'où arrive-t-on à vendre des concepts creux, jusqu'où des personnes riches se complaisent-elles dans leur esprit bien-pensant ? Jusqu'où, dans notre société, peut aller la catégorisation des êtres, l'édification des stéréotypes et des barrières ? Au niveau de l'interprétation, réussite totale, je trouve, à commencer par Claes Bang, qui porte la satire sur ses épaules et arrive à insuffler de l'humanité et du charme à son personnage Christian.Le reste du casting es trèsbien aussi, notamment Elisabeth Moss et Dominic West qui semblent tout étonnés par les situations et les dialogues qu'on leur donne à exécuter. Je pense qu'ils se sont bien amusés pendant le tournage.
Donc, énormément de bonnes choses dans The Square, mais également une certaine perplexité face à une histoire aux enjeux dramatiques parfois dilués dans un excès de formalisme. Ainsi, passé 1h30 de projection, on a l'impression que tout a été dit, que tout a été raconté et que finalement la supposée descente aux enfers de Christian n'est pas si grave que ça. À tout moment, on s'attend à ce que quelque chose explose, mais rien de vraiment clair. Ruben Östlund prolonge de longs moments narratifs, avec une sorte d'ivresse conceptuelle - je pense par exemple à une montée dans un immeuble de plusieurs étages, filmée en contre-plongée dans un escalier en colimaçon qui n'en finit plus et qui m'a donné une forte sensation de malaise visuelle - mais refusant un quelconque dénouement à la tension induite par la séquence. Oui, il demeure une étrangeté des lieux est des espaces, ça m'a fait penser à certains films de Roman Polansky ou d'Alfred Hitchcock.
Vous comprenez donc pourquoi je vous dis : allez-y, plongez dans le monde bizarre de Ruben Östlund et faites-vous votre propre opinion - le film donne certainement de la matière à discussion et à réflexion.
(Et puis la séquence de l'homme-singe est absolument ahurissante: elle vaut à elle seule le détour !!)