Mike Flanagan rêvait d’adapter Gerald’s Game, son roman préféré de Stephen King, depuis ses études à l’université. Non seulement le roman est considéré comme l’un des écrits les plus faibles du maître de l’angoisse mais il se passe quasiment entièrement en monologue intérieur avec son personnage principal menotté aux barreaux d’un lit. Autrement dit, le roman était depuis toujours jugé comme inadaptable. Pourtant, Mike Flanagan a usé de sa popularité largement méritée pour ses films précédents tels qu’Oculus, Hush ou Ouija : Les Origines pour se frayer un chemin et réaliser son rêve. Le résultat est à la hauteur, et Gerald’s Game peut se targuer d’être la meilleure adaptation d’un roman de King de l’année, même devant la nouvelle adaptation de Ça.
Dans une maison de vacances éloignée, Gerald sourit à l’idée de menotter sa femme, Jessie, aux barreaux du lit. Avec l’aide d’un peu de viagra, le couple entre dans un jeu de rôles. Alors que personne ne peut les entendre à des kilomètres à la ronde, Gerald devient excité, mais Jessie veut s’arrêter là. Elle se sent inconfortable, et perçue comme une femme objet. Gerald ne lâche cependant pas l’affaire jusqu’à ce qu’il soit soudain prit d’une crise cardiaque et y succombe aux pieds de sa femme, toujours attachée aux barreaux du lit en bois massif. Le corps finit par tomber au pied du lit après que Jessie réalise sa situation et que personne ne pourra l’aider à sortir de cette situation.
Ce qui peut paraître maladroit ou ridicule se transforme ici en une situation horrifiante. La première force du film réside en la confiance totale que Mike Flanagan donne à son actrice principale, Carla Gugino. Il nous enferme littéralement avec elle le plus longtemps possible, jusqu’à parfois briser le quatrième mur avec des regards caméra pour renforcer l’angoisse. En ce qui concerne le problème du monologue intérieur, il le retranscrit grâce à des hallucinations de Jessie qui parle avec une version plus forte d’elle-même et un Gerald qui ne serait pas mort. Les scènes entre Jessie et son mari sont écrites d’une manière phénoménale tandis que Gugino joue avec un réalisme rare la situation fâcheuse dans laquelle elle se trouve et Bruce Greenwood (Gerald) reconnaît qu’il joue une version exagéré de son personnage, une version que sa femme envisagerait. Jessie se retrouve donc avec une espèce de dualité ange et démon au-dessus de ses épaules. Ce parti pris est d’autant plus intéressant lorsqu’il est personnifié par une version plus forte de Jessie et du mari défunt.
Au fil de ses films, Mike Flanagan gagne de plus en plus confiance en lui en tant qu’artisan de la peur. Dans Gerald’s Game, il fait beaucoup avec peu. Il met de côté toutes tentations de jump scares faciles et rapides qui viendraient amoindrir la terreur. Pareil pour la musique, qu’il n’utilise quasiment pas et met plutôt en pratique l’utilisation du son pour imposer une ambiance. Il fait aussi le choix de longues séquences sans coupures pour refléter à l’écran l’angoisse allant crescendo. Nous quittons uniquement l’espace restreint de la chambre lorsqu’il le juge nécessaire comme pour insérer un flashback essentiel pour ajouter un sous-texte à l’histoire. Ces flashbacks servent avant tout à révéler le sordide passé de Jessie et utiliser certains éléments pour la sauver de sa situation présente. Mike Flanagan n’hésite pas non plus à scruter les moindres détails des émotions de son actrice en posant sa caméra au plus près d’elle, et détériore son maquillage au fur et à mesure de l’action pour renforcer sa fatigue émotionnelle et psychologique. L’utilisation de la lumière fait aussi parti des éléments clés pour distiller la peur et jouer avec la perception du personnage qui viendra se décalquer ensuite sur celle du spectateur.
La fin du roman de Stephen King est réputée pour être atroce. Néanmoins, Mike Flanagan a décidé d’être complètement loyal envers le matériel d’origine. A l’écran, la fin peut sembler bancale et pourtant tout semble prendre sens pour boucler l’histoire de Jessie. Gerald’s Game résume parfaitement l’état psychologique que l’on peut traverser durant une situation poussée à l’extrême. De plus, Flanagan en profite pour jouer avec les méandres de l’esprit et fait douter le spectateur jusqu’à la dernière minute sur certains éléments de l’action. Sont-ils réels ou pas ? La réponse finale à la question n’en est que plus satisfaisante.
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