
Rien d’étonnant à ce que le jardin soit à l’abandon derrière deux palissades. Novembre a desséché les buissons et décoloré les têtes des hortensias. Les feuilles sont tombées en un épais tapis. Une bêche à peine rouillée git dans un coin. La ruche est au repos. Rarement un décor aura été pensé avec autant de justesse. La crise est proche. D’ailleurs l’orage éclate tandis que le public le voit l’Avare cacher sa précieuse cassette, là sous nos yeux.
Pourtant le vieil homme se sent encore la fougue d’espérer convoler. Les jeunes gens aussi, pour peu qu’on lui lâche la bride. La famille Lazarini nous propose de redécouvrir le texte de Molière en y voyant les prémices d’un marivaudage assez canaille. C’est peut être que le père, Henri, a pris le parti d’Harpagon tandis que sa fille, Frédérique, est au service de la jeunesse.

Nous sommes en automne mais il reste quelques beaux jours à profiter ... Après la pluie, le beau temps. La pièce s’achève dans la joie et la bonne humeur. Chacun avec sa chacune, dans l’ordre des choses. Après avoir surmonté une crise de paranoïa, somme toute légitime parce qu’il n’y a rien de pire pour un avare que de s’être fait dépouiller, Harpagon s’étonne de voir tant de gens assemblés (le public) qui rit de bon cœur devant une famille, non pas recomposée, mais reconstituée.
La fête peut avoir lieu. Des guirlandes éclairent un jardin qui prend une allure romantique. On ressort du théâtre le cœur léger.

Les choix de dramaturgie soulignent tous les moments où ce travers se manifeste. Ce sont les flatteries prononcées pour gagner les hommes. C’est aussi le conseil de faire semblant pour mieux arriver à ses fins. C’est l’inclinaison consistant à plaider le faux pour savoir le vrai. On remarque vite que tout le monde triche, se surveille, cherche à manipuler. Le pauvre Maitre Jacques qui tente de rétablir la vérité abandonne : Peste soit la sincérité, c'est un mauvais métier. Désormais j'y renonce, et je ne veux plus dire vrai. (Acte III scène 2)
Le même homme, dans la scène finale, est désabusé : Hélas ! Comment faut-il donc faire ? On me donne des coups de bâton pour dire vrai ; et on me veut pendre pour mentir. (Acte V scène 6)

Tous les comédiens sont à louer. Ils contribuent à rendre cet Avare fort réjouissant. Et comme preuve de la générosité de l’équipe, ils sacrifient leur Réveillon du 31 décembre pour le passer en compagnie du public. C'est une riche idée.
