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Vivez, si m’en croyez

Publié le 30 novembre 2017 par Morduedetheatre @_MDT_

Vivez, si m’en croyez

Critique de Vous n’aurez pas ma haine, d’après le récit d’Antoine Leiris, vu le 25 novembre 2017 au Théâtre du Rond-Point
Avec Raphaël Personnaz, et, au piano, Lucrèce Sassella en alternance avec Donia Berriri, dans une mise en scène de Benjamin Guillard

Décidément, cette année, je me fais violence. Après Mon Ange et Les Barbelés, qui traitaient tous deux de sujets qui me sont délicats, j’ai encore passé un cap en me décidant à aller voir Vous n’aurez pas ma haine. Certains lecteurs savent sans doute que j’ai été traumatisée par cet événement, et que, quelque part, il a change ma vie : aujourd’hui, peu de jours se passent sans que mes fantômes ne ressurgissent. Je n’ai pas lu le livre d’Antoine Leiris. Je n’en avais pas le courage. Et il y avait autre chose : je n’avais pas la sagesse, ou la folie, ou l’inconscience – appelons ça comme on veut – de comprendre que face à la barbarie, autre chose que la haine peut se développer en nous. Ce soir, j’ai mieux compris. Antoine Leiris s’est rattaché à la vie comme jamais. Et la haine ne laisse place qu’à une demi-vie. Ce spectacle est beau, touchant, et il porte en lui une vérité incandescente plus que cruelle.

Antoine Leiris est ce journaliste qui, au lendemain de l’horreur du 13 novembre et à la suite de la perte de sa femme, a publié sur Facebook un écrit intitulé « Vous n’aurez pas ma haine », dans lequel il s’adressait d’abord aux assassins, arguant que « répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes » et concluant sur son fils, comme la seule force qui lui restait : « Il a 17 mois à peine, il va manger son goûter comme tous les jours, puis nous allons jouer comme tous les jours et toute sa vie ce petit garçon vous fera l’affront d’être heureux et libre. Car non, vous n’aurez pas sa haine non plus. » Ce texte a été partagé plus de 200 000 fois.

Je trouve qu’adapter ce texte au théâtre est une belle idée : quoi de mieux que le théâtre pour faire ressentir ainsi un sentiment de partage ? Nous qui sommes réunis ici, n’avons-nous pas souffert ensemble, attendu ensemble, pleuré ensemble ? Ne venons-nous pas chercher ici des réponses à nos questions ? Et vivre ce moment, ensemble. Ce n’est pas juste une retrouvaille avec soi, mais un partage chaleureux entre nous. D’ailleurs, ce soir-là, un silence religieux régnait dans la petite salle du Théâtre du Rond-Point. Venir voir Vous n’aurez pas ma haine est une démarche spéciale, nous n’avons pas poussé la porte par hasard, et ça se ressent.

Contrairement à ce à quoi je pouvais m’attendre, ce spectacle n’est pas mélancolique. Au contraire, j’ai trouvé qu’il avait quelque chose de presque serein. Apaisé. Même si l’indignation est là, et la tristesse, et la peur, toujours présentes, on a aussi réussi à relever la tête, à faire face au monde tel qu’il est et, sans accepter l’horreur, nous avons réappris à vivre. Sans l’autoriser, sans oublier, mais tout simplement car c’était la meilleure des réponses. Cette démarche-là, Raphaël Personnaz la rend avec beaucoup d’humanité : de la déchirure initiale à ce départ dans cette nouvelle vie, la démarche est dure et il l’affronte avec à la fois une forme de simplicité enfantine et l’amertume d’un homme qui a souffert. Il a ce regard insouciant, presque naïf, tendre, doux, un regard où on voit le pire au fond de la pupille, mais qui ne va pas abandonner. Le regard d’un homme qui ne s’est jamais laissé le choix. La jolie scénographie de Benjamin Guillard appuie la dualité homme-enfant qui accompagne le spectacle : par terre, des origamis : ce qu’au départ je prenais pour les corps éparpillés sont en fait les témoins des soutiens reçus par Leiris, et ont pris la forme de jouets pour enfants. L’accompagnement au piano, enfin, est très intelligent et la fin en point d’orgue serre le coeur par la beauté et l’espoir qu’elle dégage.

Revivre cette nuit d’horreur m’effrayait, mais le spectacle – et il l’emprunte au livre, probablement – évoque avec pudeur ce moment refoulé. Là n’est pas du tout la question ; il s’agit de vie, d’espoir, et d’amour. Quelle naïveté ! me direz-vous. Quelle vérité ! vous répondrais-je. A travers son histoire, Leiris raconte cette démarche de reconstruction dans laquelle tous, nous nous reconnaissons. Pour parvenir à vivre après cet événement, tous nous nous sommes accrochés à l’amour de nos proches, tous nous avons dû ressentir à quel point nous étions attachés à ce monde par leurs liens, pour éviter de le fuir par lâcheté. Et si, comme Leiris le ressent, ils sont finalement toujours 3 à être ensemble, ce soir, dans la salle, nous étions 130 à applaudir.

Catharsistique. 

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