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Blaise Ndala : Sans capote ni kalachnikov

Par Gangoueus @lareus

Blaise Ndala : Sans capote ni kalachnikov
Il y a beaucoup à dire sur le second roman de Blaise Ndala. L’auteurcongolais, basé au Canada et sûrement citoyen du pays aux feuilles d’érables rouges a fait son entrée en littérature avec un texte au titre provocateur : J’irai tombé sur la tombe de Senghor. Un as de l’intertextualité avec un semblant de clin d’œil à Boris Vian, à Dany Laferierre et le ndombolo facile sur le grand poète adepte de rythmes plus classiques, plus posés. Je me perds déjà avec mon introduction…

Discours sur le conflit congolais

Dans le fond, c’est un peu le jeu de Blaise Ndala, de perdre son lecteur avant de le récupérer et de le conduire vers une issue inattendue. En commençant ce roman, je me disais que j’allais me taper un énième roman sur la question douloureuse des enfants soldats. Ces derniers sont d’ailleurs présents tout au long du roman par le biais des personnages Fourmi rouge et Petit Che. Sauf que la narration se fait à partir de deux jeunes soldats démobilisés, le premier étant doucement entrain de périr du fait d’un syndrome d’immuno déficience acquis en violant des femmes en masse quelque part en Cocagnie. On ne le sait pas vraiment au début de ce roman. Le texte nous raconte les histoires de ces deux cousins. Petit Che doit son nom à la figure d’Ernesto Guevara qui dans les années 60 anima un maquis avec les troupes lumumbistes dans cette région du Congo. Petit Ché reprend les mêmes réflexes de son héros, notant dans un calepin les épisodes importants de ce maquis sous les ordres du sanguinaire Rastadamus. Toujours dans le cadre de cette narration, ils évoquent l’histoire de ce maquis initié par le général Mokomboso. Un observateur avisé reconnaîtra Kabila père, celui à qui on doit le ndombolo pour sa démarche de gorille (mokomboso en lingala). A chacun son niveau. d’interprétation. Il y aurait deux guerres selon Ndala ou du moins selon les enfants soldats narrateurs. Vous connaissez la technique des écrivains : exprimer des choses, des vérités et se planquer derrière les personnages. Il y aurait deux guerres donc. Une première faite dans les règles de l’art et une seconde avec l’éviction de Mokomboso, dérégulée, entretenue par un guerrier qui a besoin de nourrir un statu quo sanglant qui arrange tout le monde sauf les populations meurtries…

Discours sur la société du spectacle occidentale

En parallèle, il y a cette narration autour de la production d’un documentaire réalisée par une cinéaste québécoise sur les viols massifs de femmes dans une région de la Cocagnie. Le fameux pays où en montant sur mat lisse, on se sert à satiété. La référence directe au fameux roman de Depestre me  semble évidente comme plusieurs clins d'oeil à des auteurs comme Sony Labou Tansi, Garcia Marquez ou Laferrière que j’ai oublié de mentionner dans mon introduction alors que je tentais de dresser un parallèle avec le titre tapageur de son premier roman Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer. Blaise Ndala connait ses classiques et les intègre sans difficulté dans son projet littéraire. Pour revenir à la belle québécoise Véronique Quesnel, qui obtient un Oscar, récompense ultime, pour ce documentaire, elle se pavane avec une jeune héroïne congolaise (cocagnienne) qui aurait survécu aux affres de la guerre et des viols à répétition. Je pense à Coco Ramazani dont le témoignage bouleversant sert de trame au roman de Joseph Mwantuali, Tu le diras à ma mère. Seulement, derrière toutes ses paillettes, quel est l'envers réel du décor ? Sur quelle manipulation fonctionne la réussite de cette production et ce zoom sur une guerre à la fois méconnue et une misère exploitable à merci tant qu’elle ne concerne pas les Algonquins - indiens natifs expropriés du Canada, parqués dans des réserves et abandonnés à l'alcoolisme et une terrible détresse. Véronique Quesnel appartient à l’élite de ce pays de langue française en plein cœur de l'Amérique du nord, portée par des valeurs altruistes et désintéressées ou rongée à certains égards par un sentiment d'injustice et de culpabilité… On pourrait penser que la critique de ce modèle ne concerne les sociétés nord américaines. Mais Ndala va plus loin et introduit le personnage de Rex Mobeti, une sorte de Lionel Messi venu de cette funeste région de la Cocagnie, qui brille en Europe sur les plus grands terrains de football, affirme sa liberté à ne pas être renvoyé systématiquement à son origine. Adulé même par les miliciens au fin de la forêt, l'homme est lui aussi pris par un scandale : il est poursuivi pour viol dans un parking de Barcelone... Un viol, encore qui renvoie à l'origine...

 Regards croisés : Puissance de l'analyse de Blaise Ndala

Ce roman est brillant car il ne fait pas dans les bons sentiments. De la très bonne littérature. Comme le disaient un ami, dans ce roman, il n’y a que des pourritures. Ndala ne fait pas dans la dentelle ni dans le compromis. Et il est difficile à lire dans le sens où toute possibilité d’identification est impossible. Les personnages sont complexes. Certains évoluent. Et on ne les saisit vraiment qu’à la dernière page lue. Il y a un refus de la facilité qui fait de ce roman un texte qui restera. L’écriture sans être complexe, de manière assez surprenante, elle est cependant laborieuse. Comme si l’écrivain impose un rythme de lecture. Je l’avoue, c’est une expérience inédite pour moi. J’apprécie la grande maîtrise proposée par l’auteur congolais dans le traitement de son sujet. En même temps, j'aimerais dire que ce roman est québécois dans le sens où même si le lecteur retrouvera les caractéristiques des œuvres produites par des auteurs congolais comme Bofane, Mwanza Mujila, Mwantuali ou Serge Amisi, à savoir la dimension mondiale ou mondialisée du contexte minier congolais et de conflits qui perdurent autour de l’exploitation de ressources qui impactent le quotidien d'hommes et de femmes de part et d’autre de la planète, il n'en est pas moins une critique féroce du entertainment occidental et de l'usage de la misère d'autrui pour asseoir des représentations rassurantes.  Blaise Ndala refuse toute description manichéenne dans la manipulation de la souffrance : elle est peut être autant exploitée par une cinéaste québecoise en mal de reconnaissance que par un sportif cocagnien de haut niveau désirant redorer son blason terni par un scandale.
Blaise Ndala, Sans capote ni kalachnikov
Editions Mémoire d'encrier, première parution en 2017
1ère sélection du Prix des Afrique 2017

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