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(Note de lecture) Mina Loy, "Il n’est ni vie ni mort" – Poésie complète", par Pierre Drogi

Par Florence Trocmé

Mina Loy  il n'est ni vieCe livre réalise simultanément trois conditions rares. Il propose à l’expérience de la lecture une œuvre exceptionnelle (diamant de pensée et d’expression conjointes), dans une traduction à la hauteur du texte traduit, et leur ajoute une nouvelle dimension par une présentation de l’œuvre véritablement créative, comme un poème ajouté.
Le lecteur peut désormais trouver réunie toute la poésie de Mina Loy – jusque-là accessible en français, dans la même traduction, uniquement en deux volumes, parus jadis aux éditions des Brisants et depuis longtemps indisponibles.
L’édition actuelle, qui fait tenir sous la même couverture les deux volumes des Brisants et écarte les essais parus séparément, offre de ce fait une nouvelle vision du cœur de l’œuvre en en faisant étinceler à la fois toutes les facettes. Le sous-titre « poésie complète » n’est pas de trop et l’impression de tenir « à la fois » sous son regard et sous le titre choisi la totalité d’un parcours modifie subtilement le rapport qu’on peut entretenir avec l’œuvre. C’est un des paradoxes de l’édition que de créer ou de déterminer la façon dont le lecteur aborde sa lecture. D’une certaine façon, sans modifier la lettre des textes ni même leur ordre, cette édition les réinvente, leur donne peut-être enfin leur juste place. Fait apparaître de façon éclatante leur cohérence.
Il m’est presque impossible de ne pas penser à Emily Dickinson et à sa définition de la poésie en lisant Mina Loy : « Si un livre rend mon corps si froid qu’aucun feu ne pourra plus le réchauffer, je sais que c’est de la poésie.
Si je ressens comme si le sommet de mon crâne m’était arraché, je sais que c’est de la poésie. »
Dans le froid boréal qu’installe l’œuvre de Loy, cérébral-charnel ou intellectuel-sensible note Olivier Apert, on retrouve la clarté radicale, commotionnante, galvanique de Dickinson.
Ce livre nous fait faire l’expérience d’une force corrosive, celle de l’esprit, la conscience, aux prises avec le réel, la chair. Non sans cruauté, mais non sans compassion : alliance rare. Dans une lucidité suspendue au-dessus ou comme en dehors de soi.
Il propose, de fait, un mystérieux équilibre – prismatique ? – entre l’esprit et la chair, entre la question du genre et la projection insatiable vers « l’immortalité » personnelle (dé-genrée ?) – encore tendue néanmoins tout entière vers un amour non « obsolète ».
Quelle cruauté est supportable ? Jusqu’à quel degré ? Jusqu’à quel point de compassion ?
Dans l’agacement des temps (le sien, le nôtre), Mina Loy offre plus qu’un point de vue : un regard traversant, tranchant comme un diamant sur le verre.
Illumination

Ova est seule
dans le jardin
Le ciel très haut
doucement s’approche
et toute sa
lumière persistante émane d’elle
Sa conscience
naît de l’espace non du corps
Récompense du saint
bonheur indissoluble
à emporter comme une amnésie
dans le long cauchemar
[p. 176]
Pierre Drogi

Mina Loy, « Il n’est ni vie ni mort » – Poésie complète, traduction et présentation par Olivier Apert, éd. NOUS, 2017, 320 )., 24€.


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