« C'est le propre des timides que de rire ou de sourire niaisement au mauvais moment, et de ravaler leur salive pour tout à coup laisser échapper un flot de formulations hasardeuses qui passent pour de l'injure, du mépris, de l'arrogance. La parole nous devrait être interdite, à nous les timides ; elle devrait s'étrangler en nous. Nos vies et la vie des autres en sauraient adoucies. » (Frédéric Pajak, Manifeste incertain)
2 octobre 2017.- Nuages (21°C). Fusillade à Las Vegas, 60 morts, 500 blessés. Le coupable : un retraité globalement paisible qui ne semblait demander rien à personne. Conclusion : méfions-nous de tout un chacun.Une chronique d'Alexandre Vialatte.Rayon musique : Buell Kazee - The Butcher’s Boy3 octobre 2017.- Nuages (20°C). Lever précoce. Labeur puis sieste prolongée. Une chronique de Vialatte où il était question de l’éléphant – cette grosse bestiole finalement sympathique – en dehors de cette chronique, journée pour rien, une de plus, sachant qu'il me reste de moins en moins de journées à passer ici-bas, je me demande à quoi tout cela mène ; certainement à rien.Rayon musique : Jeanne Lee & Ran Blake - Where Flamingos Fly.5 octobre 2017.- Soleil, de l'or sur du mordoré (23°C). Manque de sommeil, le labeur, toujours. Conséquence, je flotte en dehors de moi-même dans de vagues effluves narcoleptiques. Dans cet état lu deux chroniques de Vialatte avant de piquer du nez au creux de mon canapé ; au loin un chien aboyait. Mort d’ Anne Wiazemsky : « Et sa nuque fragile qu’on découvrait par instants nue, avec le renflement, touchant à voir, de deux tendons qui saillissaient sous la peau duvetée, couleur d’ambre clair, selon les mouvements de sa tête. »Rayon musique : Annette Peacock - I Have No Feelings6 octobre 2017.- Ciel changeant, le gris dominant dominant tout de même un peu plus que le bleu (16°C). Snob comme je suis j’entame Quelques cafés Italiens, court opuscule où Patrick Mauries promet de se perdre dans les parfums mêlés d'espresso, de bitter, d'amande et de marsala… Par ailleurs, reposé mon Vialatte.Rayon musique : Cal Tjader - What Are You Doing for the Rest of Your Life.7 octobre 2017.- Beau temps un peu frais (16°C). Mangé une moussaka - c'est un plat traditionnel des Balkans et du Moyen-Orient – que j'ai accompagnée d'un vin portugais ; je suis décidément foutrement cosmopolite ! La littérature c'est tout autant une histoire de nez que de cogito. Mauriac sent la résine, la table de nuit mal aérée et les vieux papiers de notaires, Giraudoux sent le mordoré, l'aveline et l'humus, Vialatte sent l'encaustique et la mercerie auvergnate brumeuse, Walser sent la neige et la plume d’oreiller… Hier j'évoquais les prometteuses senteurs d'espresso, de bitter, d'amande et de marsala qui semblaient vouloir flotter dans le Quelques cafés italiens de Patrick Mauriès. Je ne m'étais pas trompé, c'est petit livre qui ne manque pas de fragrances, il faut dire que les belles salles cachées du Caffè Florian distillent un arôme pour le moins enivrant, les parfums et autres effluves là Mauriès n'avait qu'à tourner autour, ce qu'il fait très bien avec une belle grâce légèrement affectée : « Pour les écrivains des cafés – cette espèce si particulière qui avoue ne pouvoir écrire qu'au milieu du passage et du frôlement, parmi les arômes de thé ou de café-, nul doute que l'espace, en l’occurrence, de « travail » ne soit l'antidote (le correctif ? Le complémentaire?) de celui, ramassé, hostile dans sa familiarité, de la maison. Lieu d'ouverture aux bruits de perméabilité : qui rende sensible à des murmures, des « fréquences » inaudibles, des échos qui se développeraient au fur et à mesure de l'écoute. Peut-être pourrait-on en tirer une conséquence : que le café, réagissant pour ainsi dire sur l'écrivain, produise une qualité très particulière d'écriture : fasse tomber le fantasme de l’œuvre fermée, du projet planifié, et fasse naître un corps fluent, impur, expansif, ne cessant d'augmenter avec les occasions et les surprises, les causes les moins justifiables les moins nobles, paresseusement étalées dans le temps, baignant dans un bonheur improbable, un plaisir intense (analogue à celui que provoque l’excitation du café) ; plages heureuses que ne bloquent pas les moments de malheur, les pannes d'inspiration, etc. »8 octobre 2017.- Averses, temps maussade (15°C). Nothing to say then I will not say anything.Rayon musique : Wayne Shorter - Infant Eyes. 3.9 octobre 2017.- L'automne est là (14°C). Je fane sur pied, un peu comme une plante desséchée qu'un jardinier vétilleux n'arroserait plus par pure mesquinerie, fainéantise, vice… En conséquence aujourd'hui : rien « fait », rien vécu, rien écrit, rien lu.La planète pèse un peu plus lourd, Jean Rochefort est mort (Revoir Le Cavaleur, merveille Mid age demi amère).10 octobre 2017.- Nuages stoïques, pas de vent, aucune magie liquide ou aérienne, rien ne bouge, tout est figé loin des « beautés météorologies » chantées par Baudelaire (16°C) Joubert, Pensées. Pour Joubert Malebranche est une machine pensante qui connaît mieux le cerveau que l'esprit humain. Une petite tête pleine de ricanements pour qui le beau, ce bien de l'imagination, n'est qu’une « faculté » essentiellement nuisible, un véritable mal.12 octobre 2017.- Soleil (23°C). Not in the mood. Grand retour de la morale par toutes les faces possibles et imaginables. L'époque est sinistre.13 octobre 2017.- Quelque chose de l'été indien flotte dans l'air (23°C). Une mouche tourne ostensiblement dans mon petit intérieur, c'est bien pénible, il faudrait que je la fasse fuir en effectuant de grands gestes de sémaphores. Voilà une perceptive un peu périlleuse, mais il faut de temps à autre savoir être intrépide, c'est l'un des sels de l'existence. Failli ouvrir un volume de Jean Paulhan, je ne l'ai pas fait : trop de fatigue, peu de courage.14 octobre 2017.- Beau temps, douceur hors de saison (24°C). The Yankee Comandante long papier de David Grann écrit pour le New Yorker ( édité en français chez Allia). Souvent passionnant, il faut dire que William Alexander Morgen – le fameux Yankee Comandante dont il est question - aura eu une vie pour le moins passionnante. Voilà un type qui quitte l'école avant l'âge légal et commence à parcourir les États-Unis en bus et en train de marchandises. Il est perforateur, épicier, ouvrier agricole, chargeur de charbon, ouvreur dans un cinéma, matelot dans la marine marchande… Plus tard il s'engage dans l'US Army et le voilà mobilisé au Japon où il se comporte d'une façon pour le moins délictueuse ( après quelques sombres magouilles il est condamné à cinq ans de prison), plus tard encore le voilà à Cuba où avec ses « camarades » Guevara et Castro il fait la nouba révolutionnaire avant d'être fusillé un petit matin que l'on imagine blême bien que tropical. Engagement, aventures tous azimuts, barbudos et mafia, officines diverses et avariées, CIA et FBI, grande Histoire et petites histoires, disons que l'on ne s'ennuie pas.16 octobre 2017.- Du soleil ! (26°C). Attentat en Somalie, 300 morts. Je ne voudrais pas paraitre cynique, mais je constate que personne ne joue le moindre Let It Be sur piano désaccordé.18 octobre 2017.- N'ayant pas osé risquer le moindre bout d'orteil dans les extérieurs je ne saurai dire si aujourd’hui les conditions météorologiques étaient si favorables que ça. La lumière dans mes rideaux me laisse cependant deviner que le temps était au beau fixe (23°C). Travail de nuit, guère dormi…Retour dans L'homme qui a vu l'ours de Jean Rolin. Ce replet spicilège me semble finalement être la « grande œuvre » de son auteur, pour preuve aux alentours de la page huit cent on y batifole autour du premier feu tricolore de Sarajevo spécialement équipé pour les aveugles. Il égrène à intervalles réguliers son signal sonore au milieu des détonations et autres rafales. Les chiens errants enchantés par tout ce chambard se pourchassent de-ci de-là à la queue leu leu, un chat noir tue un pigeon presque aussi gros que lui, les miliciens tonitruent à bord de leur gros Toyota, tout est admirablement bien déréglé. 20 octobre 2017.- Plus de gris, quelques averses (23°C). Exister de Jean Follain. Dans une belle préface qu'il faudrait encadrer, Henri Thomas pointe commun chez Follain la « poésie » est toujours éloignée d'une quelconque formule abstraite, qui séparerait âme et corps tout en perdant les mots, leur pure valeur d’allusion leur légèreté et leur inflexion unique. Pas de métaphores, rien de « poétique », non plutôt l'expression d'une forme d'imagination et de sensibilité très personnelle, rigoriste et simple à la fois, une formule de simplicité ?L'écolier qui balayait la classeà tour de rôle était choisialors il restait seuldans la crayeuse poussièreprès d'une carte du mondeque la nuit refroidissaitquelquefois il s'arrêtait, s'asseyaitposant son coude sur la table aux entaillesinscrit dans l’ordre universel.22 octobre 2017.- Averses, chute de la température extérieure (14°C). Yesterday social life, i drunk a little too much. This morning, a big headache and a mouth more than pasty. I’ve read a few pages despite everything. Rolin, l'homme qui aurait vu l'ours… Le port de Hambourg et ses vitrines lubriques fermées les dimanches, la révolution des patates à Saint-Pétersbourg, la Nouvelle-Zélande et l'épave du Raimbow Warrior quinze ans plus tard, Aki Kaurismaki et la tristesse finlandaise, la poésie des porte-conteneurs et autres navires marchands… Disons le tout net, au-delà du « journalisme », Rolin est un grand écrivain géographe ; un grand écrivain tout court ?23 octobre 2017.- Fraicheur, gouttes éparses (14°C). Assis sur une chaise blanche je bois un jus d'orange 100 % pur fruit pressé, la nuit tombe imperceptiblement, cette journée est presque déjà finie, à quoi cela rime-t-il ? Toujours avec mes deux Jean, Follain et Rolin. Trois poèmes de l'un, deux articles de l'autre. La compagnie est plaisante.26 octobre 2017.- Beau temps persistant, quasi chaleur (25°C). Retour dans les Cahiers d'un Cioran toujours décevant en bien : « Au bout d’un certain temps, presque tous ceux qui m’ont trouvé quelque mérite ont fini par se détourner de moi. J’ai perdu tous mes « admirateurs », si tant est que j’en aie jamais eu un seul. J’inspire de la déception. »Pour le reste Follain, trois poèmes28 octobre 2017.- Beau temps frais (14°C). Je viens de finir l'Homme qui a vu l'ours. Ce lourd pavé, entamé il y a bientôt dix ans (plus de mille pages!) est certainement la grande œuvre de Jean Rolin, une somme alpestre qui toise le roman-roman avec des airs semi-narquois. S'agissant de ce dernier, le trop fameux roman-roman, j’apprends par la bande que le nobélisé Modiano aurait sorti une nouvelle petite chose de sa manche embrumée… Je pense lire cette petite chose, en me méfiant un peu, la « musique » de Modiano commençant à me lasser à petit feu. To be continued