Partager la publication "[Critique série] THE END OF THE F***ING WORLD – Saison 1"
Titre original : The End Of The F***ing World
Note:
Origine : Grande-Bretagne
Créateur : Charlie Covell
Réalisateurs : Jonathan Entwistle, Lucy Tcherniak
Distribution : Jessica Barden, Alex Lawther, Gemma Whelan, Wunmi Mosaku, Steve Oram, Christine Bottomley, Navin Chowdhry, Barry Ward…
Genre : Drame/Thriller/Comédie/Adaptation
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 8
Le Pitch :
James, 17 ans, est persuadé d’être un psychopathe. Son but suprême étant de parvenir à tuer quelqu’un. Quand Alyssa, une autre lycéenne, se rapproche de lui et lui propose de prendre la tangente, James saute sur l’occasion et voit là une chance de réaliser son objectif. C’est alors que les deux adolescents s’embarquent dans un road trip à travers l’Angleterre…
La Critique de la saison 1 de The End Of The F***ing World :
Diffusée fin 2017 sur Channel 4 en Angleterre, The End Of The F***ing World débarque chez nous via Netflix, précédé d’une bande-annonce aussi brute de décoffrage qu’enthousiasmante. Un show adapté du roman graphique éponyme de Charles S. Forsman qui suit donc deux adolescents en fuite. Deux âmes perdues qui tentent justement de se retrouver, sans cesse en mouvement et confrontées à des individus peu recommandables qui ensemble, forment un échantillon sordide d’une société gangrenée par un mal peu clairement identifiable mais néanmoins virulent. The End Of The F***ing World qui se pose vite comme l’une des choses les plus percutantes et dérangeantes que Netflix nous a proposé depuis sa création…
Bonnie & Clyde 2.0
Nombreux sont ceux qui ont essayé de refaire à leur sauce Bonnie & Clyde. Une femme, un homme, un road trip, des drames, de l’amour… Au fond, c’est aussi cela que la série propose. Mais à sa façon. Avec cette originalité typique des meilleures productions britanniques, habitée de cette impertinence hérités de Skins, sans filtre ni envie d’arrondir les angles, mais sans se priver non plus d’exprimer des émotions plus douces, comme pour marquer un fossé entre la violence du monde et la pureté des sentiments au cœur d’une romance naissante mais compliquée.
The End Of The F***ing World, c’est une histoire d’amour tragique. Une romance comique. Un road trip frénétique mais aussi contemplatif. Charlie Covell, le showrunner, qui a aussi adapté le récit, ne ferme aucune porte. Après une introduction efficace, il emmène ses deux personnages sur la route et leur fait rencontrer des individus qui s’imposent tels des sortes de monstres issus d’un conte de fée où tout le monde avancerait à découvert. Dans la série, les adultes sont mauvais. Mauvais dans le sens malsain ou méchant ou mauvais comme décevants. Des pervers, des bourrins, des égoïstes… Et ce dès que les protagonistes, James et Alyssa, tombent sur ce type qui est en partance pour acheter un chien de combat et qui, à la première occasion, essaye d’assouvir ses bas instincts. Alors oui, The End Of The F***ing World peut déranger car elle n’a pas peur d’y aller franchement et d’assumer les moindres contours de son histoire.
Bonnie & Clyde certes, mais Bonnie & Clyde dans un univers cruellement âpre, où le ciel n’est jamais bleu et ou l’espoir prend parfois des postures étranges à tel point qu’il est facile de le rejeter. Mais l’amour est là. Quelque-part…
Je t’aime, moi non plus…
Car bien sûr, Ayssa et James s’aiment. Même si le postulat de départ veut que James désire tuer Alyssa. Conte sur le passage délicat à l’âge adulte, la série n’oublie ainsi pas les contradictions qui accompagnent parfois les sentiments. James est une sorte de Dexter qui affirme ne rien éprouver. Un psychopathe auto-proclamé accompagné d’Alyssa, une ado rebelle étouffée dans un foyer constitué d’une mère faible et soumise et d’un beau-père haineux. Ensemble pourtant, et ce sans trop dévoiler les tenants et les aboutissants de l’intrigue, Alyssa et James vont apprendre à se connaître et s’apprécier mutuellement, conscients que finalement, il n’y a que chez l’autre qu’ils pourront peut-être trouver le salut, dans un monde qui court à sa perte. Dans The End Of The F***ing World, devenir adulte, rime avec violence et brutalité. Il n’y a pas de solutions faciles et l’échappatoire n’a rien d’évident non plus. Impossible d’accuser Charlie Covell ne pas être allé au bout de son concept. Ainsi, la série n’a rien de fédérateur et n’est clairement pas faite pour tout monde. Elle souffle le choix et le froid et trouve sa cohérence également dans la capacité du spectateur à adhérer à sa démarche à première vue un peu foutraque mais finalement remarquable.
Ballade très sauvage
Réalisée à quatre mains, The End Of The F***ing World fait belle figure. Contemplative ou plus rentre-dedans, elle jouit d’une photographie qui souligne les intentions et les émotions qui s’en échappent. Devant l’objectif, les acteurs font tous un boulot admirable, à commencer par les deux acteurs principaux. Vu dans la saison 3 de Black Mirror, le jeune Alex Lawther est parfait en tous points en adolescent perdu, inquiétant puis attendrissant. Et si on peut parler, le concernant, de révélation, c’est pourtant bel et bien Jessica Barden qui mérite qu’on lui accole ce qualificatif tant sa performance, dévastatrice, suffit presque à elle seule à caractériser la série dans son ensemble. Une actrice jusqu’ici discrète, que l’on a pu voir dans des films comme Tamara Drew et The Lobster, qui explose dans un récit dont elle incarne les valeurs et cette capacité à virer brutalement de cap. Charismatique, imprévisible, complexe, drôle et tragique, elle fait montre d’une maturité et d’un talent qui devraient en toute logique lui ouvrir suffisamment de portes pour qu’on la retrouve très bientôt au premier plan.
Un duo au centre d’un show différent, qui tord le cou aux clichés pour mieux s’approprier, parfois avec maladresse mais jamais sans sincérité, des ressorts qu’elle utilise pour tisser une fable cruelle, dérangeante et attendrissante. Le tout non sans une poésie nourrie d’un esprit de rébellion qui fait honneur au genre auquel elle finit par appartenir. Quelque-part entre True Romance et La Ballade Sauvage de Terrence Malick, The End Of The F***ing World ne prend pas de gants et bouscule les conventions pour offrir à l’arrivée une réflexion sans ambages plus que marquante, sur le monde vu par des adultes en devenir, perdus dans le brouillard de leurs aspirations et de leurs déceptions…
En Bref…
Parfois maladroite mais superbement sincère, The End Of The F***ing World avance à contre-courant. Un road movie lyrique, choquant, drôle et émouvant en forme de conte initiatique qui dérange autant qu’il captive. Une partition portée par deux acteurs remarquables, aussi rebelle que viscérale, qui s’assume complètement, jusqu’au final déchirant.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Channel 4/Netflix