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(Hommage) à Paul Otchakovsky-Laurens, par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé

P.O.L avant la nuit

Isabelle Baladine Howald
Paul Otchakovsky-Laurens est mort, sur une route de Marie Galante, il faisait beau, il était en vacances.
Nous avons tous rêvé d’être édité par P.O.L.
Autant pour faire partie de ce que nous pressentions comme une unique petite communauté d’amis liés de façon joyeuse, indéfectible, que pour le prestige du petit logo emprunté à l’un de ses écrivains, Georges Perec.
Nous sommes tous dévastés par sa mort, effrayés par la bêtise de cette « aventure horrible et sale » qu’est la mort pour Camus, lui aussi tué sur la route, P.O.L. un 2 janvier, Albert Camus le 4.
Nos écritures pleurent, nos cœurs pleurent, la poésie pleure.
Nous sommes dévastés, effrayés, inquiets : la maison P.O.L.  va-t-elle survivre ? Mes amis mes amis, chez P.O.L., je vous en supplie, mes amis mes amis, Jean-Paul, Frédéric, auxquels nous pensons tellement ces jours-ci, faîtes qu’elle survive.
P.O.L. m’avait refusé un texte autrefois, ça n’a jamais été grave, un refus, finalement je n’ai jamais publié ce livre, je ne l’ai pas gardé.
Plus récemment il n’a pas répondu, j’ai publié le livre ailleurs, ça n’a pas été grave non plus.
Nous avons tous rêvé d’être édité chez P.O.L. mais nous ne lui en avons jamais voulu de ne pas le faire. Nous travaillions, tous, à ce que nous aimons, c’était cela l’essentiel.
Dès le début, qui était aussi le début de la vie de lectrice adulte, La traversée du Rhin de Paul-Louis Rossi, le ton était donné, sous le signe des dieux absents mais des dieux quand même. Tous les livres de Roger Laporte, qui comptent toujours autant pour moi. Lors d’une conversation avec Paul Otchakovsky-Laurens à la librairie Kléber à Strasbourg pour la sortie de son premier film, j’ai pu le remercier d’avoir toujours réimprimé Une vie qui comporte l’ensemble des textes de Roger Laporte, livre fondateur de ma vie, lui dire aussi que je ne comprenais pas toujours ses choix mais que je les respectais. Il m’a dit ensuite qu’il avait  aimé cette remarque. Dans mon vieux fonds à la maison, il y a des merveilles, la gloire de Daniel Oster (sur Mallarmé), la Condition d’infini volume 5 de Jean Daive, (relatant ses rencontres avec Paul Celan), Une vie de Roger Laporte, la théorie des propositions de Claude Royet-Journoud, Mes amis les amis, Vaches, Là où le cœur attend, de Frédéric Boyer, beaucoup de livres de poésie, moins de romans, et j’en oublie car mon cœur défaille.
Nul besoin pour moi de le connaître davantage. De même nous ne dérangions jamais José Corti que nous regardions, admiratifs, devant la vitrine de sa librairie, il me suffisait de savoir qu’il existait, qu’il lisait, éditait, vivait. Rien d’autre à raconter que l’importance si grande que son travail pour moi depuis plus de quarante ans.
A ma façon de travailler ce fonds, en librairie, il le savait et cela me suffisait.
Et même s’il ne l’avait pas su, cela n’aurait rien changé.
Pour mes vœux de cette année qui commence si mal, j’avais pris une photo d’un rebord en bois où sont posés, chez moi, deux livres, éclairés faiblement par une petite lampe. L’un, ce sont les splendides tissus dessinés, Maîtres invisibles de Koraïchi (Actes Sud), l’autre c’est Vienne avant la nuit, ce livre si bouleversant, déchirant, si beau, de Robert Bober, édité à l’automne par P.O.L..
Il fait nuit depuis sa mort. Mais il est venu avant la nuit et nous a éclairés.
Merci à lui pour cette irremplaçable clarté.
Isabelle Baladine Howald
5 janvier 2018


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