"Tolérance zéro, réflexion zéro, voilà la politique en matière de stupéfiants pratiquée dans mon pays pourtant dirigé par des premiers de la classe."
Patience Portefeux, 53 ans, est une femme seule, veuve, devant assumer les frais couteux de sa mère à l'hospice. Elle a travaillé toute sa vie en ayant toujours des difficultés pour boucler les fins de mois. Son métier lui offre alors une opportunité décalée : alors qu'elle pratique des traductions d'écoutes téléphoniques dans les enquêtes des stups et du grand banditisme, un magot lui tombe soudain du ciel. De fil en aiguille, elle devient la Daronne...
Ce roman original et très bien écrit met en scène une héroïne au profit atypique, une femme de 53 ans qui rêvait enfant de collectionner les feux d'artifice, rêve fou que la vie a allègrement piétiné. A l'heure de prendre sa revanche, elle n'hésite pas un instant, tant elle est désabusée par la société et les politiques qui la régissent. L'amoralité du monde qui l'entoure, l'illogique d'un système qui fonctionne à l'envers la pousse à jouer ses propres cartes. Par exemple, si elle travaille pour la police, elle est payée au noir par le ministère. "C'est d'ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là mêmes qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu, ni retraite. Franchement comme incorruptibilité on fait mieux, non ?
Enfin, moi qui suis corrompue, je trouve ça carrément flippant."
De même, elle reste lucide sur la façon dont est menée la lutte contre la drogue en France : avec cette tolérance 0 et des moyens faramineux déployés pour lutter contre les délinquants, mais, parallèlement et paradoxalement, des français de souche loin d'être irréprochables terrés dans leur campagne et épargnés.
"Quatorze millions d'expérimentateurs de cannabis en France et huit cent mille cultivateurs qui vivent de cette culture au Maroc. Les deux pays sont amis et pourtant ces gamins dont j'écoutais à longueur de journées les marchandages purgeaient de lourdes peines de prison pour avoir vendu leur shit aux gosses de flics qui les poursuivent, à ceux des magistrats qui les jugent ainsi qu'à tous les avocats qui les défendent. Du coup ils deviennent amers et haineux. On ne m'enlèvera pas de l'esprit (même si mon ami flic m'affirme que je me trompe) que cette débauche de moyens, cet acharnement à vider à la petite cuillère la mer de shit qui inonde la France, est avant tout un outil de contrôle des populations en ce qu'elle permet de vérifier l'identité des Arabes et des Noirs dix fois par jour."
Ce que j'ai moins aimé : Le cynisme grinçant de cette anti-héroïne moderne est assez désespérant notamment en ce qui concerne la gestion de la vieillesse et la solitude dans laquelle se meuvent les êtres.
Bilan : Un roman percutant, marquant qui mérite amplement tous les prix obtenus :
Grand Prix de littérature policière - 2017 / Prix Le Point du polar européen - 2017 / Meilleur polar de l'année 2017, selon le Magazine Lire
La daronne, Hannelore Cayre, Métailié, mars 2017, 171 p., 17 euros