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Kati kati, de Mbithi Masya

Publié le 16 janvier 2018 par Africultures @africultures

Le Kenyan Mbithi Masya a commencé sa carrière dans la publicité et des installations vidéos. On retrouve cette liberté dans Kati kati, son premier long métrage de fiction. Coproduction germano-kenyane issue de l’atelier One Fine Day Film, il représente le Kenya aux Oscars et tourne dans les festivals où il amasse des récompenses. Un film saisissant et maîtrisé.

Nous voici dans les limbes de l’entre-deux, signification de kati kati en swahili. Une jeune femme simplement vêtue d’un pyjama d’hôpital déboule sans savoir pourquoi ni comment dans une ferme aux caïmans, un complexe touristique plutôt sympa où d’autres jeunes l’accueillent chaleureusement. Et soudain, elle comprend, s’enfuit et se heurte à une invisible paroi, déclenchant l’hilarité du groupe. Comme tous ceux qui l’ont précédée… Et voilà Kaleche (Nyokabi Gethaiga) intégrée dans ce lieu où l’on évolue comme dans un stage de bien-être. Elle trouvera doucement la sérénité qui lui permettra d’accueillir elle aussi un nouveau. Les jeux corporels sont nombreux mais pas la drague, car le désir est absent ou soumis à interdit. On se contente donc de parler et de se retirer dans son bungalow, avec rien d’autre à faire que de retrouver la mémoire. A cet effet, tous les besoins matériels sont exaucés.

Kati kati, de Mbithi Masya

Voilà en tout cas comment Mbithi Masya nous représente cette étape, espèce de purgatoire où nous sommes supposés accepter nos fautes et les dépasser, afin de gagner le repos éternel. Chacun traîne un lourd passif que le film nous révèle peu à peu et sans pathos. Surtout, un secret plane que Kaleche mettra du temps à comprendre et qui la concerne au plus haut point.

Ni Eros ni Thanatos donc, et partant pas de conflit. Ce qui était dramatique dans la vie réelle est ici au niveau psychique du travail de mémoire, dans une atmosphère bienveillante. Kati kati n’a donc rien d’un film d’horreur qui s’appuierait sur des effets visuels et sonores. Il joue cependant habilement de l’incertitude et de la tension dans laquelle il plonge le spectateur, et distille subtilement ses informations pour faire progresser avec humour son récit.

Un double grimé de blanc accompagne chacun comme une conscience qui interroge, et se réjouit des avancées. Celles-ci se mesurent aux tâches blanches sur la peau noire, signes avant-coureurs d’un corps qui s’apprête à redevenir poussière. Mais tout dépend de la capacité de réconciliation et de pardon, seule condition pour pouvoir aller de l’avant. L’enfer menace ceux qui n’y parviennent pas : c’est sur un fond chrétien que le film prend son socle, à l’image de ce prêtre peintre qui peine à exorciser ses fautes dans le feu.

Kati kati, de Mbithi Masya

C’est par son intermédiaire que s’introduit dans le film la mémoire des conflits postélectoraux de 2007 qui ont traumatisé le Kenya. Renforcée par ce huis-clos mémoriel, cette prégnance du passé s’oppose au contexte de déréalisation pour restaurer la question de la responsabilité, présente dans toutes les histoires qui agitent les protagonistes, à commencer par le leader local, Thoma (Elsaphan Njora), que les souvenirs de Kaleche ne cessent de troubler.

Reconnaître ses fautes pour obtenir l’amnistie : ce fut la logique de la Commission de la vérité et de la réconciliation en Afrique du Sud, inspirée par l’archevêque Desmond Tutu qui avait conclu : « Ayant regardé la bête en face, ayant demandé et reçu le pardon, fermons la porte du passé, non pour l’oublier mais pour qu’il ne nous emprisonne pas ». Comme dans Kati kati, la parole est dès lors essentielle pour que s’opère ce retournement. Ce faisant, la réconciliation n’est plus un souhait incantatoire mais le processus pratique qu’une nation entière est appelée à mettre en œuvre. Le film de Mbithi Masya devient dans cette perspective un appel à mettre les faits sur la table pour éviter les bégaiements de l’Histoire.

Cependant, si la dimension politique n’est pas absente, c’est dans l’intime que se jouent la plupart des drames évoqués. Ce purgatoire improbable apparaît dès lors pour chacun comme l’occasion d’un rituel soutenu collectivement mais radicalement introspectif pour assumer sa culpabilité et ouvrir le deuil de sa propre histoire. Faire face à ses démons, pour trouver la sérénité.


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