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" La Facture du piano et ses métamorphoses " Ziad Kreidy

Publié le 20 janvier 2018 par Assurbanipal
Ziad Kreidy

Editions Aedam Musicae.

Château-Gontier (53). 2018. 125 p.

Lectrices esthètes, lecteurs collectionneurs, je vous ai déjà chanté sur ce blog les louanges du précédent opuscule du pianiste et musicologue Ziad Kreidy, " Les avatars du piano " (2012).

Notre auteur poursuit la logique de son propos avec son nouvel ouvrage, toujours concis, synthétique et pédagogique, " La Facture du piano et ses métamorphoses ".

Ziad Kreidy joue de la musique ancienne sur des instruments anciens. Non pas de la musique baroque comme c'est la mode depuis 40 ans mais de la musique romantique et même plus tardive. Chopin ou Grieg sur des instruments qui datent de la création de ces musiques. Des pianoforti et non pas des pianos. Seule la langue italienne a gardé le nom commun " pianoforte " (doux fort) pour un instrument qui a bien changé depuis sa création à la fin du XVIII° siècle lorsqu'une évolution technique fit passer des cordes pincées (le clavecin) aux cordes frappées le piano).

Depuis lors, l'évolution technologique s'est faite dans le sens de la standardisation, suivant l'adage olympique: Citius, Altius, Fortius (Plus vite, plus haut, plus fort). Sans parler des claviers électriques, Ziad Kreidy démontre que les pianos ont un son de plus en plus puissant et de plus en plus normé, le Steinway modèle D en étant le modèle achevé, inchangé depuis les années 1880. En fait, l'instrument actuel ne devrait pas être appelé " piano " (doux) mais " forte " (fort).

La démarche de Ziad Kreidy s'inscrit dans la lignée de Walter Benjamin et de son fameux article " L'œuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée " (1935). Ce qui vaut pour la reproduction du texte, de l'image, du son vaut aussi pour sa production. Les pianos sont produits comme des motocyclettes, à la chaîne et par les mêmes sociétés industrielles.

Il est permis de s'en féliciter au nom de la démocratisation de la culture mais il est aussi possible de s'en lamenter face à l'uniformité qu'elle produit. " L'ennui naquit un jour de l'uniformité " (Chateaubriand). L'écrasante majorité des pianistes ne se rend même pas compte des limites des instruments qu'elle utilise puisqu'ils n'en connaissent pas d'autres depuis que leurs mains se sont posées sur un clavier acoustique.

Cela pose problème pour l'exécution d'une musique écrite pour d'autres instruments. Sans parler de Bach qui n'a jamais connu le piano et qui est pourtant le compositeur préféré des pianistes de Jazz (cf Dan Tepfer et Edouard Ferlet sur ce blog), même Claude Debussy, mort en 1918 (le compositeur à écouter en 2018) n'a jamais connu les pianos sur lesquels il est interprété aujourd'hui.

Jouer au XXI° siècle une musique du XIX° siècle sur des instruments datant du XIX° siècle est un jeu amusant mais un peu vain. L'instrument a changé puisqu'il a vieilli, même une salle de spectacle du XIX° siècle a vieilli. Quant aux musiciens et aux auditeurs, ce sont des personnes du XXI° siècle pour qui la vitesse maximale n'est plus celle d'un cheval au galop (Chopin) ou d'un train (Dvorak) mais celle d'un avion ou d'une fusée.

Ziad Kreidy répond pertinemment à cette critique en déplorant l'uniformité et les manques du piano actuel, instrument essentiellement occidental qui se prétend universel. Ziad Kreidy, citoyen du Liban et de France, est né et a grandi dans une double culture Orient et Occident. Il connaît d'autres modes, d'autres tons que ceux du Clavier bien tempéré. Il sait qu'un piano ne peut les jouer. Mac Coy Tyner s'y est essayé depuis sa rencontre avec John Coltrane, John Mac Laughlin a fait fabriquer un métronome spécifique pour jouer de la musique indienne avec sa guitare électrique de Britannique. Ce sont des musiciens que Ziad Kreidy n'évoque pas puisque, dans ce livre encore, il ignore le Jazz.

L'auteur propose des solutions pour sortir de cette uniformité pianistique avec des artisans qui créent des pianos uniques et sur mesure. Soit des copies d'instruments anciens ce qui est tout de même moins risqué pour en jouer car l'outrage du temps interdit par exemple de jouer du dernier piano de Beethoven (1825) soit des créateurs d'instruments neufs comme le Français Stephen Paulello dont le piano à 102 touches (contre 88 pour un clavier normal), entièrement fait en France, à la main, fera l'objet prochainement d'un enregistrement de Marc Benham, pianiste français bien connu de nos services. Pour jouer des musiques extra occidentales au piano, il existe le Fluid Piano en Angleterre. Exemplaire unique au monde. Il figure en photographie sur la couverture du livre. Le souci, c'est que ces instruments coûtent des sommes gastronomiques. Si vous demandez le prix, cela signifie que vous ne pouvez pas vous les offrir.

Finalement, Ziad Kreidy a fait le bon choix. Pour jouer d'instruments plus expressifs que puissants sans nous ruiner, achetons des pianos droits du XIX° siècle voués aux décharges publiques, restaurons les, jouons les et aimons les. Sur des instruments anciens, créons des musiques nouvelles.

L'auteur illustre " La facture du piano et ses métamorphoses " de partitions pour ceux qui savent lire la musique comme lui et de photographies pour ceux qui ne savent pas la lire comme moi et Django Reinhardt. Il manque à mon avis des schémas didactiques pour expliquer le rôle des cordes, des pédales, des marteaux et leurs changements dans l'évolution technique de l'instrument. Il est vrai que cela alourdirait le livre qui est bref (128 pages), n'est pas alourdi par un amas de notes et de références et se distingue par le talent pédagogique et polémique propre à l'auteur.

Pour illustrer ce livre qui ne comporte qu'une phrase sur le Jazz (je vous laisse la joie de la trouver lectrices esthètes, lecteurs collectionneurs), j'ai choisi un extrait de l'album " Bach Unplucked " du duo Edouard Ferlet (piano) & Violaine Cochard (clavecin) puis une illustration de l'adage de Barney Wilen: " L e Jazz, ça consiste à transformer le saucisson en caviar ". Ici, Martial Solal, au festival de Châteauvallon (83), édition 1972, fait de " Lover Man " sa chose. Le silence qui suit son interprétation n'est pas du Mozart mais du Solal.

La photographie de Martial Solal est l'œuvre de l'Irrémissible Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette œuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.

Martial Solal par Juan Carlos HERNANDEZ


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