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(Note de lecture) Michèle Finck, "Connaissance par les larmes", par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé

La poésie comme expérience

Michèle Finck  connaissance par les larmes
Connaissance par les larmes (Arfuyen) est un livre traversé par le corps, lui-même traversé par le Livre. Michèle Finck, pour son quatrième volume de poésie, explore et expose littéralement le corps privé de larmes, ou dont les larmes coulent à l’intérieur. Non pleurées, les larmes, sèches, ne laissent que la brûlure du sel sur leur passage ainsi que le froid de la neige, autre brûlure toujours présente chez elle : « … tu les sens monter en toi et brûler – mais au lieu de jaillir de tes yeux, elles coulent en toi, à l’envers ». Par le biais du dialogue constant que cette comparatiste entretient depuis toujours avec l’art (musique, peinture, cinéma, auxquels elle a consacré plusieurs ouvrages universitaires de référence), Michèle Finck nous offre un livre très construit, littéralement charpenté, peut-être pour soutenir le propos des larmes, si fragile, insaisissable en même temps que si éprouvé. Son expérience physique d’impossibilité de pleurer est aussi saisissante que celle d’une sobriété extrême qui peut d’ailleurs tout aussi bien mener à quelque chose comme ceci : « arches d’extase en vol ». Ce qui la rapproche, me semble-t-il, de certaines expériences spirituelles.
Un chœur, « bouche fermée », « bouche mi-close », « bouche ouverte », étouffe d’abord le chant puis l’entrouvre et enfin l’ouvre. Le poème peut naître, passant par la consolation offerte par l’apaisement de la mer, bercement, mouvement, sorte de protection maternelle.
Bien sûr la douleur est là, et est éprouvée par le poème et dans le poème, mais également une grande force, une obstination, une résistance sont à l’œuvre, et tournées vers l’autre, par exemple vers Anna Politovskaïa, journaliste russe abattue il y a quelques années.
La manière dont l’hommage lui est rendu fait entendre d’écho du goût pour la poésie russe qu’à Michèle Finck, Akhmatova et Tsvetaeva en tête, toujours présentes dans ses recueils.
Les larmes pleurant en soi, le sujet tombe « Suis.  Tombée/Hors les larmes », mais elles sont fécondes du poème. De même la plaie d’amour « Mes larmes/Coulent/De tes yeux » évoque la rencontre, la séparation mais aussi tous les visages des tableaux ou des films qui hantent cette poésie. Le corps est christique, le visage est nu, les poèmes dialoguent sans fin avec les poètes, les musiciens (Britten, Bach, Poulenc autant que Schubert ou Mahler et d’autres), les peintres (classiques mais aussi les surréalistes ou Picasso) : « Aimer un peintre pour la façon unique/qu’il a de dessiner une larme : Klee ».
Dans le domaine de l’image bouleversante, les films de Bergman, Rossellini, Haneke ou Visconti et d’autres, font aussi naître ces vers épurés, sur le fil, soutenus par leur seule force d’être.
La langue n’est pas épargnée, elle est atteinte : « la langue est en larmes ». C’est dire la difficulté.
Pour clore le volume, une série de poèmes superbes sur la neige (on pense ici à Trakl et Celan, poètes qui accompagnent en permanence Michèle Finck). Ce « Neigécrire » est ce qui reste, ce qui cristallise et donne le poème : « ne pas pleurer/neiger. » Cette neige qui devient le verbe d’un sujet vacillant, presque effacé pourtant devient comme le mouvement discontinu mais néanmoins vivant, présent de la main qui écrit.
« Presquélégie de la Sans-Larme », ce livre pose la question simple, essentielle : « Comment vivre ? ». Pas de miracle possible mais l’écriture est aussi la vie.
Comment vivre, je ne sais pas, mais pour reprendre le titre d’un livre fondamental de Philippe Lacoue-Labarthe La poésie comme expérience (Bourgois), celle-ci signe l’épreuve, mais « là où est le péril/croît aussi ce qui sauve » (Hölderlin).
Isabelle Baladine Howald
Michèle Finck, Connaissance par les larmes, Arrfuyen, 2017, Collection « Les Cahiers d'Arfuyen » n° 233, 208 pages, 17€


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