Berner « The Big Pescado » @@@½
Sagittarius Laisser un commentaireIl m’en aura fallu du temps pour m’intéresser de plus près à Berner, ce n’était pas plus tard que l’été dernier avec le projet Vibes en compagnie de Styles P. Pourtant l’influence de ce rappeur de San Francisco ne fait aucun doute, rien qu’en jugeant des personnalités qui ont travaillé avec lui (B-Real, Messy Marv, The Jacka San Quinn, Cam’Ron, Styles P et récemment Young Dolph). Mais en dehors de la musique également, Berner est réputé pour être un militant très investi en faveur de la marijuana (il a notamment permis la création de plusieurs variétés de cette plante) et j’imagine fort bien qu’il doit se réjouir de sa légalisation dans l’état de Californie. J’ose imaginer également que son business est tellement florissant qu’il a pu se payer le revenant Scott Storch pour la production de son nouvel album solo, The Big Pescado, ainsi qu’une flopée de gros cadors du rap game.
Remarquez d’abord que le dessin de son visage sur la pochette est réalisé avec des feuilles de cannabis, une manière commerciale comme une autre de mettre en avant son produit, comme ces chefs d’entreprise dont on en voit le visage dans une publicité ou sur un logo. Ou, dans un tout autre contexte, comme Eminem pour la cover de Relapse réalisé avec des pilules de différentes couleurs (les lobbys pharmaceutiques ont du se frotter les mains). Mais vite, on se presse pour commencer à écouter cet album puisque Scott Storch réalise tous les instrus. Dès « G.R.E.E.D.« , on reconnaît immédiatement ses petites mélodies typiques de piano, ça en crève les oreilles. La première grosse moitié de The Big Pescado nous laisse imaginer ce qu’aurait été une production routinière d’Aftermath dans les années 2000 si Dr Dre était meilleur gérant. Scott fournit le styles de prod qui ont fait sa réputation dans la première moitié des années 2000, avec des mélodies de piano caractéristiques comme sur « Wait For It » (feat The Game), « Loose Lips » (feat Pusha T et Conway) et « Noid » avec Snoop Dogg et Devin the Dude, tous attirés par les senteurs de fumée d’herbe. Il y a déjà de sacrés featurings, comme c’était la norme d’autrefois.
Scott Storch punaise. Les derniers faits d’arme dont je me souvienne de lui étaient les singles « Shutterbug » de Big Boi (2010) et « Boom » de Snoop Dogg feat T-Pain (2011). Même s’il revient de très loin, au point que c’est une véritable surprise de le revoir ré-apparaître de nulle part en ce début d’année 2018, on avait envie d’y croire, à un come-back fracassant. La douche sera super tiède à la première et deuxième écoute pour ceux qui portaient beaucoup d’espoirs soudains, mais force est de reconnaître qu’il n’a rien perdu de son doigté, ni en qualité et qu’au bout du compte, sans chercher à se rénover, il fait le taf de manière sérieuse comme un ex super-producteur digne de ce nom. Que Scott Storch ait retrouvé des ressources est un motif de satisfaction. On hoche la tête quand on écoute les clavecins synthétiques de « Flex« , ou le très dur « Play Your Roll » avec Ty Dolla $ign (notez le petit jeu de mot), avec ce piano grave qui rappelle « Westside Story » de The Game, ou encore les légères influences p-funk de « Gettin’ It« . Pour la mise en jour musicale, parce que nous sommes en 2018, Scott reprend des éléments (très faciles à recopier) chez DJ Mustard, sur des bangers à tendance r&b comme « Last Year » (feat Trey Songz et Wiz Khalifa dont la voix est légèrement robotisée), le laid-back et funky « Busy Body » (avec les vétérans Too $hort et E-40) et l’égotrip « Big Bags« , trois titres successifs. Il s’essaie également à la trap sans difficulté sur « Check » bien que cela rentre trop parfaitement dans le moule. Mais de là à reprendre le surnom de caméléon que je lui ai donné par le passé, faut pas abuser. Par contre celui de ‘piano man’, lorsque Timbaland l’avait humilié publiquement il y a une dizaine d’année, il le porte toujours aussi bien et ça n’a rien de péjoratif, c’est dire si son touché de clavier ça nous manquait. Il n’a aussi rien perdu de son aisance pour les crèmes r&b comme il le prouve aisément sur « Guess Who » (avec un Jeremih comme il faut).
Concernant notre hôte, Berner, c’est qu’on l’avait presque oublié dans cette affaire celui-là, pourtant il est omniprésent. Le rappeur-entrepreneur donne cette impression de se mettre en retrait pour ses featurings et leur laisser l’attention qui leur est due. Puis ce n’est guère non plus un grand rappeur, il se défend de manière honorable, du coup on se focalise sur les prods plutôt qu’à son bilan comptable. C’est comme le millionaire qui s’achète une Lamborghini juste pour le plaisir et frimer, et non pour mettre les gants et chevaucher les centaines de chevaux, alors que c’est le bolide qu’on mate, pas le mec derrière dans le volant. Pour couper court à l’allégorie, pas qu’on s’en foute de Berner, mais presque.
Quelles attentes avoir pour la suite? D’autres sorties de cette facture, et -soyons fou- que Berner use de son influence pour donner des billes pour la légalisation de la conso de cannabis en France et fumer les politiciens réfractaires. On peut déjà le remercier d’avoir permis la réhabilitation de Scott Storch.