Chico Buarque n’est pas seulement le fils chéri de la chanson brésilienne depuis plus de 50 ans. C’est aussi un héraut de la liberté, un fin poète, et un romancier.
« Embrouille », c’est le récit à la première personne d’un homme dont on ne connaît pas le nom, tout comme les personnages qu’il croise sur son chemin ne sont pas autrement nommés que « ma soeur », « mon beau-frère », « mon ex-femme », « mon ami », « l’homme », « la maigre », « l’indienne », « les motards », etc.
Réveillé un matin par un homme qui sonne à sa porte et qu’il observe par l’œil de bœuf sans lui ouvrir, il se prend à fuir sans but précis à travers la ville et à battre la campagne, tel une boule de billard renvoyée d’un bout à l’autre du tapis, mise en mouvement par des forces extérieures, lisse et sans aucune aspérité. En proie à des songes vagues, il se meut dans un monde un peu flottant, comme s’il observait de loin les événements parfois fâcheux ou déconcertants qui s’abattent sur lui, ou les pulsions qui le saisissent. C’est l’homme sans qualités, le personnage qui a un point de vue externe autant sur lui-même que sur les autres, le quidam qui ne connaît de lui que ses sensation les plus basiques (la faim, la fatigue, la douleur, la peur, le plaisir).
Ou alors les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord ? Y a-t-il un plan caché, des intentions sous-jacentes dans les déambulations du narrateur ?
« Pour moi il est trop tôt, je me suis couché à l’aube, je n’arrive pas à cerner ce type dans l’œil de la porte. Je suis moulu, je ne comprend pas cet individu planté là en complet et cravate, le visage dilaté par la lentille. Ce doit être important car j’ai entendu la sonnerie retentir plusieurs fois, une fois en allant vers la porte et au moins trois autres dans mon sommeil. Mon œil fait le point, et je commence à me dire que je connais ce visage d’un temps trouble et lointain… » (incipit)
Ce court roman est étrange comme un mélange de Kafka et de Woolf avec un zeste de réalisme magique, tropical, hypnotique. On se laisse complètement porter. L’auteur a un don pour mettre en relief des images qui sont plus parlantes que le narrateur lui-même. C’est un roman moderniste par sa forme épurée, et post-existentiel par ce monologue sans affects d’un moi réduit à un je nébuleux. Troublant.
Et puis, il y a ce plaisir que je ne boude pas, de lire le portugais et de goûter la poésie et la musicalité du texte de Chico, la sensualité du portugais brésilien.
« Hoje, é como se o jardim estivesse aprendendo arquitetura. » (p. 16)
« Eu estava na praia, olhando o mar, o mar, o mar vomitando o mar, e agora jà nao é fácil atravessar de volta a avenida » (p.99)
Lu en VO : « Estorvo » de Chico Buarque, Companhia das Letras, 1991, 140 p.
Edition française : « Embrouille » de Chico Buarque, Coll. « La nouvelle Croix du Sud », Gallimard, 1991, 160 p.
1e participation 2018 au Challenge Latino, catégorie Brésil.
Publicités &b; &b;