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Mettre les morts en vitrine, l’étrange idée de la morgue de Paris

Par Marine @Rmlhistoire

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Les morgués, cadavres sans identité

Au XVIè siècle, les cadavres retrouvés et non identifiés étaient déposés à l’entrée des prisons pour que toutes personnes passant devant puissent éventuellement reconnaître le visage d’une dépouille et ainsi l’identifier de manière officielle. En effet, lorsqu’on retrouve un cadavre, peu importe son identité, on le morgue. C’est à dire que les guichetiers de prisons l’examinent pour tenter de comprendre comment et pourquoi il est mort. C’est une sorte d’autopsie, mais sans ADN ni carte d’identité, de nombreuses dépouilles ne sont jamais identifiées pourtant, elles sont laissées à la vue de la population jusqu’à ce qu’elles pourrissent. En général, c’est le moment où on les enlève des vitrines, qu’on appelle par soucis de facilité des morgues. Faut pas déconner quand ça pue même le guichetier de la prison tourne de l’œil. On retrouve notamment une morgue dans la prison du Châtelet à Paris. Les morts sont déposés dans une basse-geole et les parisiens peuvent venir jeter un œil, à la recherche d’un proche disparu ou juste par curiosité. Avouons-le, entre un pendu, un noyé et un enfant étranglé, ça fait du spectacle. Cette tradition reste en vigueur à Paris jusqu’au début du XIXè siècle.

1804, création de la première morgue parisienne

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C’est Haussmann qui décide de construire un établissement destiné uniquement à recevoir des cadavres pour les exposer dans l’espoir de les identifier. C’est sur l’Île de la Cité, proche du quai du marché neuf que l’on établie la première morgue. On y trouve de manière générale des noyés trouvés dans la Seine, des suicidés, des victimes de crimes mais aussi des enfants. Tous les objets personnels sont accrochés à proximité pour aider l’identification des macchabées. Y’a pas à dire, c’est bien pensé. Les parisiens affluent dans le nouveau bâtiment, plus par curiosité que dans l’idée de résoudre une affaire judiciaire… La morgue ne désemplie pas, ni d’un côté des vitrines, ni de l’autre. La ville de Paris a de nombreux cadavres à conserver et exposer et il n’y a pas assez de place pour tous les morgués. Aussi après soixante-quatre années de service, Haussmann décide de fermer la morgue pour en construire une autre, plus belle, plus grande, ça devient un peu le parc d’attraction le plus important d’Île de France et le nombre de vomis et conséquent dans les couloirs…

La morgue, attraction parisienne par excellence

Les guides touristiques, qui ont commencé à apparaître notamment en Angleterre au XIXè siècle, et les journaux spécialisés dans le divertissement n’hésitent pas à mentionner la morgue de Paris comme « the place to be ». Il faut y être allé au moins une fois dans sa vie. Faut dire qu’elle est bien placée, Monsieur Gilbert a trouvé un morceau de terrain juste derrière Notre-Dame de Paris et en 1868, c’est l’inauguration. Le journal L’Univers Illustré décrit la morgue comme un « pavillon percé de trois grandes portes en arcades, par lesquelles, après avoir gravi quelques marches, on entre dans la salle d’exposition, séparée en deux parties par d’immenses glaces derrières lesquelles sont les cadavres, étendus sur douze dalles mobiles ». Nouveaux murs, nouvelles vitrines, cadavres tout frais et en plus c’est gratos, ça vaut vraiment le coup d’aller y faire un tour ! L’archi a mis le paquet, on retrouve une dizaine de tables en marbre noir. Elles sont inclinées de manière à ce que le public puisse bien voir les visages et les objets personnels. Autre nouveauté, un filet d’eau fraîche coule constamment sur la table afin de conserver les cadavres le plus longtemps possible (il faut attendre 1880 pour que les appareils frigorifiques fassent leur apparition).

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Qu’il s’agisse des ouvriers en pause, des illustres hommes politiques ou de la famille en promenade, plusieurs dizaines de milliers de badauds passent dans les couloirs chaque jour. Selon Émile Zola, dans son livre Thérèse Raquin, les criminels venaient même à la morgue pour espérer admirer le fruit de leur travail. Ils étaient d’ailleurs fort déçus lorsque ce n’était pas le cas. Il a été question de construire une église accolée à la morgue pour pouvoir se recueillir pour ces corps sans identité, mais c’est resté vain, on a préféré y installer des marchands de fruits et de petites bricoles pour distraire les parisiens pendant l’attente. Quotidiennement, une longue file se forme à l’entrée de la morgue, tous attendent, parfois des heures, de pouvoir franchir les portes pour découvrir les nouvelles dépouilles dont certaines ont écopé d’une certaine notoriété.

Les cadavres célèbres

En 1886, une petite fille de quatre ou cinq ans est retrouvée morte dans Paris, rue du Vert-Bois. Il n’en faut pas plus pour qu’une cohue se forme devant les portes au point que la police soit appelée pour intervenir. Malgré la foule, personne n’a été capable d’identifier le petit cadavre du Vert-Bois. En 1892, une autre affaire retenti, celle de la femme découpée en morceaux. Les douze morceaux sont déposés (tant bien que mal) sur la table en marbre noir. Si les badauds sont nombreux, personne ne parvient à identifier la victime. Cependant, du fait de la grande notoriété de la morgue, à la fin du XIXè siècle, neuf dépouilles sur dix parviennent à être identifiées à Paris alors qu’en 1830, lorsque les cadavres étaient encore dans la petite morgue, seulement quatre sur dix retrouvaient leur identité.

1907, le préfet Lépine ferme les portes de la morgue au publicThe Morgue at Paris. The Last Scene of a Tragedy.

Au début du XXè siècle, le succès de la morgue est toujours aussi important et la salle ne désemplie pas. D’un point de vue moral, ça chagrine un petit peu le préfet de police de Paris, Lépine. Il pense que ‘exposition des cadavres aux yeux de tous, mais surtout des plus jeunes, provoque l’insensibilité et la cruauté des enfants. Au lieu d’exiger un âge minimum à l’entrée de la morgue, on préfère la fermer complètement au public le 15 mars 1907 et en 1914, la morgue est déplacée quai de la Rapée et devient l’institut médico-légal de Paris.

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Source: Gallica (et je vous conseille de lire cet article qui met en avant les documents gallica)


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