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Krisha (2016), Trey Edward Shults

Par Losttheater
Krisha (2016), Trey Edward Shults

Le cadre est serré. En 4/3, face caméra, le regard s’adresse à nous. Krisha, sexagénaire, brise le quatrième mur avec un regard perçant. Dès son premier plan, Trey Edward Shults révèle un malaise profond chez son personnage principal. Un malaise accentué par le choix étriqué du plan, mais qui va aussi parcourir tout le long de ce premier film. Drame familial, Krisha est aussi une plongée dans le désarroi le plus total d’une femme qui souffre.

Les tenants et aboutissants ne nous sont pas donnés d’emblée. Lorsque Krisha débarque dans sa famille pour Thanksgiving, on comprend vite qu’elle ne l’a pas vu depuis un certain temps. Cependant les raisons ne nous sont pas expliquées. Les règles sont vite brisées, les codes du genre bousculés. La caméra s’immerge au sein de ces retrouvailles sans jamais quitter le point de vue de sa protagoniste. De là, il y a comme un feu follet qui s’immisce à l’écran, une tension palpable dans l’air qui va s’accroître. Les regards sont gênés et gênants et les accolades aux apparences bienveillantes cachent des remords. On comprend alors que le passé de Krisha n’est pas tout rose. Malgré tous les efforts du monde, la famille n’était pas prête à l’accueillir à nouveau. Les longs plans-séquences permettent au trouble de s’installer jusqu’à nous sortir de notre zone de confort. Chaque membre du clan s’immisce alors dans le cadre pour venir perturber l’arrière-plan, poussant Krisha dans le malaise. Dysfonctionnelle et instable, elle n’arrive pas à retrouver sa place. Nos repères n’existent plus, Trey Edward Shults nous emmène en terrain connu mais de manières complètement différentes. Le drame prend alors des allures de film d’horreur. Il se construit sur le fil pour nous mener à attendre ce qui va tout faire basculer.

Chaque dialogue, chaque action a une répercussion sur le portrait psychologique de Krisha. Telle une sorcière ou la grande méchante de l’histoire, elle se perçoit comme un mauvais esprit revenu hanter les siens. Sauf que le mauvais esprit ici n’est rien d’autre que le passé. Un passé sombre qui revient plus fort que jamais pour nuire à Krisha elle-même mais aussi à tous ceux à qui elle tient. Pourtant, elle veut prouver qu’elle a changé, et elle va tout mettre en œuvre pour réussir. Préparer la dinde, discuter avec son fils, renouer le lien avec sa mère souffrante,… Sauf que dès la moindre faille, elle replonge, son addiction la rappelant au mal. Trey Edward Shults nous précipite dans la tourmente, ni plus ni moins en plein cœur d’une bande de névrosés. La marmite bouillonne jusqu’à l’explosion, la violence se répand alors dans les moindres recoins de l’écran. Le film interroge les remises en question et la volonté de guérir. Krisha veut tellement faire bien qu’elle finit par tout gâcher. Lorsqu’elle tente d’instaurer un dialogue avec son fils, ce dernier se referme instantanément tellement sa mère le pousse à exprimer ce qu’il ressent. Par bribes, qui s’intensifient, les effets néfastes de Krisha sur sa famille lui sautent à la figure. D’ailleurs, tout le film se concentre sur le visage de Krisha, ses réactions, ses émotions. Des plans insensés sur ses traits qui nous poussent dans ses abysses. Grâce au talent de sa mise en scène, de son écriture et ses dialogues quasi impeccables, Trey Edward Shults propose de bousculer la cellule familiale. En la mettant à mal, il délivre le portrait d’une femme fragilisée par la vie qui lutte pour retrouver l’amour et la confiance d’un fils.

Krisha est disponible sur la plateforme e-cinema depuis le 19 janvier 2018.

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