Nous comprendra-t-on si l'on écrit que la poésie de Jean-Paul Klée est celle d'un jeune homme, d'un Pierrot lunaire (cependant non en « Somnambulie ») passé magicien ès poésie, escorté par l'oiseau-lyre de ceux peu nombreux qui, courant « toute la vie après les colibris & l'oiseau-paradis », accèdent et nous ouvrent à la « vraie » poésie ? Gouvernés et dirigés par le soleil de la poésie, nous sommes ici sur le territoire communiquant d'Un à la singularité marquée par un langage audacieux, VIVANT, tonique, malicieux, finement ciselé, savoureux, traçant un univers ouvert aux autres, au monde, à l'éternité -"oh sultanat la poésie" pour reprendre une image du poète... Sans absence d'autodérision (« & le ji.pé.ka branleur d'arc-en-ciels ») ni de lucidité (lucidifère... cf. "l'ordinateur & nous"), le poète Jean-Paul Klée sans cesse avance
Découvrons de suite et d'entrée :
« oh sultanat le Soleil
me fée bisous sur les
cheveux (vitré le tramway
libellule bien) j'ai
la forme ma foi c'est une
lettre de Perrault qui m'a
inement remis debout Ça me va
courager Finissons de
triompher !... Déjà le printemps a crié
qu'il s'amène d'ici peu & le
chapeau fleuri d'azur naîtra
dans le fond d'une rue On ne sée
si la pluie l'aura déchiré Or c'était
tout le temps même mélodie &
rien (...) »
L'attention du lecteur comme le cœur du poète « ne catacombe pas » tout au long de cet opus où les néologismes (« buissonâge », « aîle », pour n'en citer que quelques-uns) nous portent depuis la proue du voyage -un voyage en amitié / amour fertile-, où la ponctuation bousculée nous emportent dans le tempo comme une musique entraînante des Caraïbes (là où l'Ami séjourne), où le poète verbalise dans le positif à savoir pour redémarrer plus vivement l'allant du quotidien en déployant ses « mille & une vies » (« courager », « moribondre », « zonzinnait », « poësie », « poëzie », …) , où bondit par-ci par-là une « verte vérité » comme dans le soir d'un faune où c'est davantage Arthur (Rimbaud) qu'un autre qui vient cimenter l'édifice dressé par toute une vie prise en vers et à contre courant, où l'amitié rutile sous chaque mot ("pour Olivier", "encor Olivier", "LARIZZA notre pays").
« (…) C'est
miraculeuse journée je ne m'y
comprendre pas Mais je la
prendre dans mes bras, oui,
cette folle journée-là !... »
Les titres à eux seuls nous dépaysent ("soupépotiron", "l'Orphée qu'il y a", "kissécelui", "oh gratülance koi", "Orientable j'y ! », "martinique vie qu'a l'AMI", …).
Le sésame qui « pulvérule vie » ici provient d'icelui que Jean-Paul Klée célèbre, son ami Olivier Larizza, son ami-gardien d'une vie à présent palpitante où le poète davantage éclairé et rusé que dans l'ancienne « vacharde vie » peut se surprendre lui-même à moissonner / ramasser d'une seule journée « trois cent cinquante versets qui / mercredi pourraient convenir à / l'éditeur Gallimard c'était / salvatrice vie qu'à présent j'ai !... ». Initiatique destinée ! (« (…) À moi-même suis-je donc / devenu ? ... »),
« moi qui ne suis (rateltyboum) ni
trésor de l'humanité cageot rempli
d'assassinats, … que n'ai-je fée d'arri
vers jusqu'ici ? … (...) »
Des astres et des références passent sur les lignes envoyagées, Rimbaud, Genêt, l'anthologie Delvaille, Montaigne, Kafka, Pessoa … Le cheminement du poète s'écrit ("lyriques inédits", "ai-je gémi ! ...", "patineur dans les bras d'Orphée"), estampillé parfois « alsaco », poësie écrivivant à vie, malicieux en ses décodages d'un réel inénarrable sauf en vers et surtout distancé pour mieux être appréhendé ("le scooter du président", "brièvement dit", "ah l'humanité", "ah quel homme c'était", "on sera virtualisés"…).
Revenu de beaucoup mais ne revenant toujours de rien -c'est ce qu'on appelle l'expérience et le poète JPK en a plus d'un tour pendable, mais aussi miraculeux, dans sa riche besace de vies-, avec un intarissable étonnement, Klée qui n'aura pas eu « miroiteuse destinée » en promet plus d'une fabuleuse à -"ah l'humanité"...,
« (…) quel
opéra mundi s'abattre sur l'HORI
ZON quel merveilleux climat sauverait
l'Humanité farfelue ah l'Humanité s'est
elle-même condamnée (noyauté) fabri
kant la mort absolue Elle va chimi
quement crever !!!... tous les médias
ne parlent plus que de sssâââ !!!... »
...et nous promet plus d'une « belle miraculeuse journée » dans les bras d'Orphée à le lire et relire, repoussant Morphée, dans ses Cahiers*, ses Bonheurs d'Olivier Larizza* aussi, dans toute sa poésie/poéVie (« (…) Mon mariage c'était / seulement la poëzie N'ai / je tout perdu & aussi / gagné tout... », "code secret").
"Chapeau bleâutre" pour le poète, taillé dans le ciel lunaire & « fleuri d'azur » « violonique » et d'ivresse mentale pagayante / propulsive ; pour le « fantaisiste » poète dont le tour d'esprit, l'intelligence est de ne pas prendre son « génie » au sérieux ; - chapeau bas « monsieur JPK » !
Murielle Compère-Demarcy
Les mots écrits en italiques et sans guillemets sont des néologismes osés par la rédactrice de cette note de lecture.
*Œuvres de Jean-Paul Klée publiées aux Editions des Vanneaux.
Jean-Paul Klée, Coeur qui comme le mien ira décoloré parmi les fleurs, Éditions des Vanneaux, collection L'Ombellie, 2016, 110 p., 15€