La Rose de Rose
Un très beau recueil de Rose Ausländer (son nom signifie : hors du pays, soit l’étranger), Ich spiele noch/je joue encore, vient de paraître chez Le Bousquet-la-barthe éditeur.
Née à Czernovitz en 1907, la même petite ville que Paul Celan et Aharon Appelfeld, « La rose étrangère » ou « Rose l’étrangère » (comme la nomment les préfaciers Lambert Barthélémy et Alba Chouillou, par ailleurs traductrice du texte), est chassée par le nazisme, après avoir vécu trois ans cachée. Elle s’exile d’abord aux États-Unis puis rentre « chez elle », en Allemagne, malgré tout, son seul pays, sa seule habitation de langue possible. Malade et décédée en 1988 dans la maison de retraite Nelly Sachs à Düsseldorf, elle est à la source du fameux « lait noir » « die schwarze Milch » de la Fugue de mort de Paul Celan (qu’elle connaissait), nous apprend la très bonne préface De nombreux recueils (dont quelques-uns traduits en français chez Aencrages et Héros-limite) sont parus et elle prend place à côté des grandes poétesses juives allemandes, Gertrude Kolmar (traduit avec fidélité chez Circé et Bourgois), Else Lasker-Schüller (encore trop peu traduite, Fourbis, Héros-limite et Orizons mais peu de recueils) et Nelly Sachs (magnifiquement traduite chez Verdier et Belin).
C’est l’occasion de toujours souligner le travail des « petits » éditeurs, essentiel.
Et c’est l’occasion de dire aussi combien ce livre est, matériellement, d’une grande beauté, en accord parfait avec le texte.
« Je joue encore », écrit lors des années de maladie 1985-1986, mêle bien sûr le souvenir du terrible passé, « roses de feu papillons de feu ailes de feu » la présence incandescente de l’étoile (jaune mais aussi celle qui luit et guide), et les difficultés qu’elle connaît alors, sans perdre de vue les saisons, la nature, et l’importance primordiale des mots. Le poème n’est pas toujours la vie, « pas de poèmes/ pour l’instant/je veux vivre » mais reste à l’écoute du mal qui vient par les autres, et du lien avec sa « lignée maudite ». Tressés les uns avec les autres, empreints de peu d’images et d’une grande sobriété, très bien traduits nous semble-t-il, d’où l’importance du texte bilingue. Éminemment marqués par son origine mais dénués de religiosité, les poèmes de Rose Ausländer prennent au cœur. La figure du pavot et l’usage de la répétition (chères à Paul Celan également) rythment cet évidement actif, sans obscurité et dans le seul but de creuser à la fois le souvenir et la possibilité de l’avenir.
La fleur affleure : « Pourtant les roses/hautes comme l’été », « et les roses mortes/après la nuit ».
Demeure le chant de Rose, « dans ma main ouverte ».
Isabelle Baladine Howald
Rose Ausländer, Ich spiele noch/je joue encore, trad. Alba Chouillou, Le bousquet-la-barthe éditeur 2017, 13 euros
Dans Poezibao :
bio-bibliographie extrait 1, ext 2, ext. 3, (note de lecture) Rose Ausländer, "Été aveugle", par René Noël