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Une chanson d’amour se doit-elle d’être en guimauve ?

Publié le 12 février 2018 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

Pour ma cinquième St-Valentin en couple, j’ai voulu faire une petite enquête sur ce que les sociétés ou les mécanismes de marketing pouvaient vendre au peuple en termes d’expression des sentiments amoureux dans le couple. Car le sentiment amoureux s’est toujours vendu de manière artistique : je vous invite à vous pencher sur des classiques de la littérature antique tels que Lysistrata d’Aristophane ou les Métamorphoses d’Ovide, en passant par le Cantique des Cantiques pour vous rendre compte que l’art d’être amoureux ne date pas d’hier.

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Ceci étant posé, en musique, nous avons de véritables échantillons sonores de chants d’amour parvenus jusqu’à nous depuis le XIIe siècle et la prolifération des ménestrels, trouvères et autres troubadours. Mais c’est surtout la perspective du consentement des deux époux lors de l’union entérinée par le concile de Latran en 1215 qui a permis de développer dans les arts les représentations de l’amour courtois. Autrement dit – du moins dans les milieux nobles – même si les mariages souffrent toujours d’un petit arrangement à une étape ou à une autre, il faut désormais séduire la personne avec laquelle le mariage est arrangé.

C’est ainsi qu’on se retrouve avec des chanteurs-conteurs professionnels qui, non seulement content les exploits des nobles qui les emploient, content également les sentiments. Et il se peut même que certains princes se spécialisent dans la poésie, tels que Alphonse X « Le Sage » de Castille (1221-1284) ou le compagnon d’armes de saint Louis Thibauld de Champagne (1201-1253).

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Dès le début de la période classique « académique », qui court de la Renaissance au début du XXe siècle, où la musique populaire n’a pas autant d’audience que telle qu’elle l’a depuis les années 1950, la musique s’est mise à se muter pour exprimer les différentes émotions. Et l’amour n’est pas exempt de ses carcans stylistiques dans sa représentation en musique. Faisons une étude de cas avec l’un des musiciens académiques les plus populaires à l’heure actuelle, j’ai nommé W. A. Mozart. Prenons l’une de ses sérénades les plus connues : Voi che sapete che cosa e amor, issue des Noces de Figaro.

Prenons maintenant Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen, plus connu sous le nom d’Air de la Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée, où la Reine est bien vénère, puisqu’un vilain en veut à sa fille et elle lui demande de le tuer avec un schlasse qu’elle lui tend.

Force est de constater qu’on passe clairement d’un air calme, voir charmeur dans le premier exemple, où Chérubin susurre la volupté du sentiment amoureux, à un gros morceau de doom avant la lettre dans le deuxième exemple où la Reine de la Nuit fait une performance digne des screamers.

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Nous avons donc maintenant la démonstration que, pour faire passer des émotions diverses en musique, il est nécessaire de suivre des canons de création bien précis. Et cela, la musique populaire depuis les années 1950 l’a bien compris. C’est ainsi qu’on se retrouve avec des chansons évoquant l’amour telles que :

ou bien ça :

ou enfin :

Et je me dis :

Oui, pourquoi est-on obligé de taper dans les schémas musicaux les plus sucrés et de surcroît les plus écœurants – en français dans le texte, pas en canadien – pour chanter le magnifique pouvoir de l’amour ? Pourquoi a-t-on autant besoin de guimauve dans une chanson d’amour, alors qu’il y a de très belles chansons d’amour punk comme par exemple ça :

ou encore ça :

Je pense sincèrement que la plupart des chansons d’amour sont faites pour être des produits de consommation, à l’instar de ce que la publicité, les œuvres de fiction ou le bruit médiatique présente au public comme étant de l’amour. C’est ça qui est terrible, au final : je crois même que l’amour est le seul sentiment qui soit marketé de la sorte. La haine, la peur, sont des instrumentation de manipulation politique, alors que l’amour est devenu un argument de manipulation commerciale.

Ce qui me fait un peu tiquer, à ce propos, ce sont toutes les playlists et les programmations des radios aux abords du 14 février. J’ai l’impression de militer contre quelque chose qui paraît « naturel » à la plupart de mes contemporains, alors que j’ai le droit de dire au Mari que je l’aime. Mais quand on dit qu’on s’aime, ça sonne plutôt comme ça :

ou comme ça :

Je crois que la personne la plus pertinente pour exprimer mon sentiment quant à cette mascarade qu’est l’amour, c’est Dalida quand elle éconduit Alain Delon :

Et ce qui est très intéressant, finalement dans cette chanson, c’est qu’elle reprend EXACTEMENT le schéma typique d’une chanson d’amour pour se foutre de la gueule des codes. Comme Friday I’m In Love, faussement candide et neuneu, accentue à quel point l’amour tel qu’on nous le vend nous rend cons. Et pour vous donner la démonstration ce que je vous dis, voici la même chanson, version premier degré.

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Bref, l’amour est beau, noble, tout ce que tu veux, le dire en musique est la chose la plus belle qui soit, mais quand même, il ne nous rend pas nazes au point de citer Céline Dion dans ce texte. Sur ce, je vous laisse, j’ai une Saint Valentin à boycotter.


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