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(Note de lecture) Emmanuel Moses, "Dieu est à l’arrêt du tram", par Jean-Marie Perret

Par Florence Trocmé

Emmanuel Moses  Dieu est à l'arrêt du tramOn pourrait se demander quel est cet arrêt de tram qu'on voit avant même d'ouvrir le livre d'Emmanuel Moses. S'il se trouve à Paris, à Casablanca, à Jérusalem ou dans quelque autre métropole terrestre, où il est difficile de négliger les transports en commun, avec leurs rencontres, leurs frictions et leurs destins contraires... Et pourquoi Dieu est là, à moins qu'il soit annoncé pour la rame suivante, ou que la précédente l'ait déjà emporté. Car c'est une zone, quelle qu'elle soit, de labeurs et d'emportements. Dieu crée à l'arrêt du tram comme encore entre les stations, comme fait, après lui, le poète. Après lui, car le poète a toujours l'impression d'avoir été précédé dans son poème : ce que l'on convenait d'appeler, naguère, l'"inspiration".
Le poète inspire et expire, comme un chacun. Mais voici qu'il rencontre, à l'arrêt du tram ou ailleurs, un homme ou une femme de large souffle et de forte présence, qui lui en inspire. C'est peut-être un dieu, essayaient les anciens avec subtilité. Ce peut-être aussi un poème ... Le poète a conscience qu'il ne faut pas laisser Dieu sans succession. Il lui propose l'arrêt du tram, mais chacun comprend que c'est une image. L'arrêt ou ailleurs, sur cette ligne qui sera longue, et rapproche ou éloigne d'un verger aux fruits décisifs, d'une maison maternelle ou de la tombe d'un parent. Car la lecture de Dieu peut être légère, mais non frivole. C'est parce qu'il a perçu quelque chose de grave dans l'alléluia du matin ou le harassement du jour que le poète ose parler de Dieu. Et puis ce Dieu qui s'en va pince le cœur : qui après lui tiendra ouvert le Livre ?
Alors on écrit encore, de peur ou d'amusement. Les voyageurs se succèdent à l'arrêt du tram, il n'y a pas Dieu tous les jours. Il n'y en a peut-être jamais eu. Était-ce simplement ce joueur de oud, chantant "l'amour joyeux, pur, infini" ? Ou cet enfant, peur du loup, de la nuit, et disant en son langage : "Mère, sauve-moi / Père, penche-toi vers moi du haut du ciel" ? Ou encore "le grand rebut qui t'entraînera avec lui / Vers le gouffre de la lumière" ?
Dans l'autre partie du livre, le poète quitte le tram et séjourne à Istambul, que le brouillard peut envahir, avec ses automnes "que ne soulage aucun hiver". Un lieu pour éprouver et pour craindre, pour voir et pour rêver  - témoin cette étourdissante villanelle :
Nos cœurs seront réunis par une belle journée d'hiver
Ce sera un vendredi
Les fleurs répandront un parfum de givre
Tu ne m'attendras pas sur le quai de la gare
Ni à notre table du café sous les arbres
Mais nos deux cœurs seront réunis
Je tournerai la clé dans la serrure
Je t'appellerai, seul le silence répondra
Pourtant nos cœurs seront réunis
Entouré de la blancheur du jour
Je m'allongerai alors sur le lit vide
Car nos cœurs seront réunis.

Tantôt triste, tantôt riant, parfois crevant de solitude et d'autres fois la désirant, ainsi va le poème, protégeant le poète d'être blessé par d'autres verbes et d'autres pensées que celles qu'il consent. Dieu est à l’arrêt du tram est un livre simple et fluide, beau dans son équilibre, et qu'on ne cesse de lire quand on l'a fermé.
Dieu est à l'arrêt du tram
Ou peut-être au café
Je l'imagine aussi parfois dans une salle d'attente
Encombrée de revues qu'il feuilletterait
En jetant de temps en temps un œil vers la porte
Pour voir si nous arrivons.

Jean-Marie Perret.

Emmanuel Moses, Dieu est à l’arrêt du tram, Gallimard, 2017, 115 p., 15 €.


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