J'avais rencontré Claire Gondor au Livre de Paris et nous avions sympathisé. Elle m'avait parlé avec flamme de son livre. Je m'étais engagée à être attentive à la sortie. C'est fragile, un premier roman ... Que m'était-il arrivé ensuite ? Je n'ai pas eu le coeur à me lancer dans l'aventure.
J'ai revu Claire à une soirée organisée sous l'égide des 68 premières fois, toujours aussi souriante, et aussi passionnée à défendre son petit, mais sans chercher à imposer quoique ce soit.
J'ai été heureuse pour elle de constater combien Le coeur à l'aiguille avait été aimé et défendu. Evidemment je me suis remise en question. Je n'ai cette fois rien promis mais je l'ai lu et à mon tour j'ai envie de le soutenir.
L'action se déroule quelque part dans une anonyme banlieue parisienne, dans les années 2000. Soir après soir, Leïla assemble une robe constituée des cinquante-six lettres que lui a adressées Dan, son promis parti au loin.
La trame de leur histoire commune se dessine lentement : leurs rencontres, leur complicité, leur quotidien, les petits riens qui donnent à tout cet amour son relief si particulier. Chaque missive fait ressurgir un souvenir, un paysage, une sensation, qui éclairent peu à peu la géographie de leur intimité passée.
C'est lui qui le lui avait demandé : prépare ta robe, j'ai ma permission (p. 93). J'hésite à vous dire la tournure que ce projet, dont rien ne dit qu'il sera réussi, va très vite prendre. C'est un défi technique comme le sont les robes conçues en chocolat pour le Salon du même nom. C'est une forme de pèlerinage qui lui permet de revivre les moments passés avec son amoureux. C'est aussi un chef-d’œuvre digne d'une année de compagnonnage.
Cette magnifique déclaration d'amour à un absent est commencée l'été suivant le drame que le lecteur devine. La jeune femme a un rituel, lisant d'abord la lettre choisie, plusieurs fois, jusqu'à en vivre le rythme de ce qu'elle nomme le ballet des mots. Elle boit un thé noir très sucré, grignote des douceurs, et choisira ensuite un fil noir ou un fil blanc. Les phrases étaient vivantes, leurs bras devenaient lianes et s'emmêlaient, les virgules n'étaient que des oiseaux en goguette et les accents des feuilles mortes tordues par le vent (p. 20).
Composée de 56 carrés blancs d'une phrase ou deux, la robe de papier, brodée d’encre sera-t-elle portée un jour et pour quelle occasion ?
Parviendra-t-elle à panser la béance, tromper le désespoir, rassembler les morceaux de son existence en miettes (...) suturer la douleur pour la faire taire enfin ? (p. 43)
Les missives sont autant de pièces de puzzle qui sont assemblées dans un ordre qui n'a rien de chronologique. Chacune vient se placer à l'exact endroit où elle semblait destinée.
L'écriture de Claire Gondor est magnifique et suggestive et le roman est parfaitement construit. Leïla, petite fille, regardait sa mère repriser et coudre après le dîner (p. 12). La quiétude du temps suspendu a imprégné son enfance et c'est en toute logique qu'une fois adulte elle choisisse cette voie salvatrice pour éviter à ses pensées de s'éparpiller après le drame qu'elle a vécu.
Ma douce, je préfère ne pas te parler de ce qui se passe ici. Encore un mois. Un mois et je suis à toi. (p. 28)
Chaque lettre (celle-ci est la 29 ème) est brève. Dan n'est pas démonstratif mais ses phrases sont lourdes de sens et Leïla confie ses commentaires au lecteur. Celle-ci ressuscite des mots d'amour un peu sauvages : le bla-bla, les je t'aime et la guimauve (...) rien que de la parlotte (...) Moi je ne t'embobine pas, au lieu de dire sans faire, je fais sans dire (p. 29). Ces deux là sont fait pour s'accorder.
Chacun des motifs brodés sur le tissu était la réponse de Leïla aux images mentales suscitées par les missives de Dan. Chacun différent mais chacun lié au précédent par une continuité secrète, par le chemin invisible qui ne deviendrait apparent qu'à leurs retrouvailles. (...) A son retour. (...) Elle ne saurait jamais si elle avait réussi ... (p. 21).
Le Coeur à l’aiguille de Claire Gondor, en librairie depuis le 5 mai 2017