Magazine Culture

(Note de lecture) Aharon Appelfeld, "Des jours d’une stupéfiante clarté", par Mireille Gansel

Par Florence Trocmé

Aharon Appelfeld  des jours d'une stupéfiante clartéDans Histoire d’une vie, il y a cette phrase de Aharon Appelfeld : « la musique est l’âme de toute poésie, de toute prose ». Ce récit, je l’ai lu, je l’ai entendu comme une fugue. Sous le signe de Bach qui accompagne et guide l’errance de cette mère visionnaire et la route de cet enfant-homme. Cette route qui ouvre le livre avec la première phrase : « A la fin de la guerre, Theo décida qu’il ferait seul le chemin de retour jusqu’à sa maison, tout droit et sans faire de détour ». Et qui se poursuivra plus loin bien au-delà de la dernière phrase : « Le peloton entoura Theo et chaque recrue l’embrassa en lui souhaitant bonne route. Puis le commandant lui lança : « Que tes bien-aimés soient toujours avec toi. Marche tout droit, franchis le pont, et tu arriveras chez toi avec la dernière obscurité de la nuit ». Et en lisant ces lignes, on entend, comme en écho, les mots qui terminent Les Partisans* : « Mon commandant, où allons-nous ? - A la maison. - Quelle maison ? - Nous n’avons qu’une maison, dans laquelle nous avons grandi et que nous avons aimée, c’est vers elle que nous retournons. » Le rescapé fut sidéré par la réponse de Félix et un sourire involontaire illumina son visage. »
Oui, ce livre, telle une longue marche dans un pays intérieur. A travers tant de paysages humains où l’arbre et l’eau sont un langage et toutes les clartés du jour et des crépuscules et des saisons. Tant d’espaces désertiques et désolés. Où chaque pas a son poids de beauté, de silence, de lumière. De gestes les plus humbles, de compassion et de réparation, de guérison. En résistance opposée, pas à pas, aux gestes et aux mots de haine, de lâcheté, d’abrutissement. Une marche habitée par l’esprit. Ainsi dans la langue allemande de Buber traduisant les récits du hassidisme et le Baal Chem Tov, ce riche mot de Be-geisterung, à la fois discernement de l’intelligence et force spirituelle au-delà de toutes les appartenances et tous les enfermements. Ferveur et enfance du cœur. Ce livre en est le conte. Son temps a la durée immédiate de ces temps exceptionnels, où les minutes ont valeur de jours, de mois, d’années… Et chaque étincelle d’humanité rencontrée au plus noir de la boue et de la nuit a poids de vie. Et de joie.
Ce livre, je l’ai lu, je l’ai entendu comme une dernière parole comme un testament de Aharon Appelfeld. Justement en ces temps. Où il nous vient de nous quitter. Ce 4 janvier 2018.  
Mireille Gansel

Aharon Appelfeld, Des jours d’une stupéfiante clarté, traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti. Editions de l’Olivier, 2018, 272 p., 20,50€
*Aharon Appelfeld, Les Partisans, éditions de l’Olivier, 2015


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines