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(Note de lecture) Jean Esponde, "Le Désert, Rimbaud", par Philippe Di Meo

Par Florence Trocmé

Jean Esponde  le désert RimbaudY a-t-il un ou deux Rimbaud ? D’un côté le poète, de l’autre l’aventurier ? La question est ancienne et débattue.
Jean Esponde reprend l’écheveau après deux décennies d’enquêtes minutieuses dans la vaste documentation héritée de la tradition des études rimbaldiennes.
Pour établir son texte, il ne s’est pas borné à lire mais a également choisi de se transporter à Aden, Djibouti et en Éthiopie. Avec Alain Borer, il est le seul à avoir fait le voyage.
Car dans cette dispute tout se joue autour de l’appréciation des activités « sieur Rimbaud se disant négociant ».
L’ouvrage retrace pas à pas les années orientales du poète en  produisant tout à la fois avec aplomb, sensibilité et sobriété une vaste documentation bien maîtrisée.
Inclassable, n’épousant aucun modèle, coulé dans une langue limpide aux associations subtiles, et autres raccourcis riches de sens, le texte de Jean Esponde relève de l’écrit ″impur″. Ne mêle-t-il pas récit des itinéraires du caravanier Rimbaud au sien propre, effectué plus d’un siècle plus tard, archives, impressions personnelles, extraits de correspondances, données ethnographiques, historiques et photographies, parfois rares, des principaux protagonistes ?
Un vaste collage expressif en résulte d’aplats en aplats. Comme d’une toile mêlant temps et lieux, commentaires et documents de toute sorte avec une aisance qui ne laisse pas d’étonner. Aucune lourdeur n’est perceptible dans ces pages. Aucun abaissement du niveau du discours non plus. Un équilibre est atteint entre le circonstanciel et la glose. Écrivain et critique fusionnent dans un style inhabituellement expressif.
La forme de l’organisation du riche matériau à disposition, à l’évidence obtenue par des années d’application assidue, livre à elle seule le point de vue de l’auteur.
Chaque partie – on ne peut véritablement parler de chapitre, la matière étant tout à la fois continue et discontinue comme dans un parchemin métaphoriquement roulé – se trouve précédée, ou même suivie, d’une ou plusieurs citations d’Arthur Rimbaud, pour la plupart tirées d’Une saison en enfer, mais aussi de la correspondance du poète.
La rencontre de la description, du discours critique et de la citation crée alors un court-circuit.
Réitéré tout au long, le procédé assoit sans équivoque le point de vue de l’auteur. Il n’y a qu’un seul et unique Rimbaud. Une continuité entre le prétendu Rimbaud de l’″avant″ (le poète) et celui de l’″après″ (le négociant) ressort des extraits de la Saison sélectionnés par Jean Esponde.  
En l’état, ces rappels constituent une sorte de prédiction, et même d’annotation, par Rimbaud lui-même, de ses errances orientales futures. Il y a donc bel et bien cercle. Unité tout à la fois physique et imaginaire.
Ainsi, dans le texte en lecture, peut-on percevoir l’apposition de l’un à l’autre : du prétendu ″premier Rimbaud″ et du prétendu ″second Rimbaud″.  Il y a apposition plutôt qu’opposition. Comme la prose élégante de l’écrivain-critique (est-ce bien un mot-valise pertinent ? n’est-il pas par trop réducteur ?) s’appose non sans bonheur à celle du Carolopolitain. Nous sommes en présence d’une construction formelle aussi cohérente qu’éloquente.
Philippe Di Meo

Jean Esponde, Le Désert, Rimbaud, Atelier de l’agneau, 2018, 163 p. 17€.


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